Chapitre 8 - Demi-elfe prisonnier

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Enfermé dans la remise de l'auberge, dans laquelle les villageois l'avaient conduit, après lui avoir administré une sévère correction,furieux qu'il ait gâché les célébrations en s'en prenant de la sorte à une voyageuse, dans l'obscurité, Inniël demeurait immobile.
Le modeste village de Bourg-sur-Broliadd ne comportait pas de prison ou de cellule, les habitants l'avaient placé là par défaut.
Il n'avait même pas tenté de se défendre ou de lutter, tout comme il ne cherchait pas à s'échapper. D'après les sons qu'il avait entendus, les villageois avaient bloqué la porte, avec une planche sans doute. Si il avait voulu, ce n'était pas une sécurité aussi sommaire qui l'aurait retenu. S'échapper aurait pu être très simple et rapide pour lui, en brisant la porte, surtout avec sa double-lame qu'il aurait pu invoquer, ou lorsqu'on ouvrait la petite remise pour lui déposer à manger, mais il n'en faisait rien.
Cette détention et les coups qu'il avait reçus étaient amplement mérités à ses yeux.
A cause de l'obscurité qui régnait dans cette remise, Inniël ignorait combien de temps s'était écoulé mais il s'en moquait.
Ses préoccupations ne se focalisaient pas sur sa détention et le sort qui l'attendait mais sur Lysange. Il ne savait pas comment elle allait, si ses compagnons avaient pu la soigner à temps, tout simplement si elle était encore en vie. L'incertitude le rongeait alors qu'il demeurait replié sur lui-même dans un recoin de l'étroite pièce, les mains sur le crâne, mais elle était moins intensément douloureuse que la certitude qu'il était responsable de cette situation, de la blessure de Lysange, peut-être de sa mort si jamais elle n'avait pas survécu.
On ne lui avait pas donné l'occasion de se nettoyer et son visage, ses mains et ses vêtements étaient encore tachés de sang. Certaines des projections venaient de ses narines et de ses lèvres fendues mais les plus grosses venaient de la plaie de Lysange. Lorsqu'il l'avait constaté, il était devenu proche de l'hystérie, ne supportant pas de se voir couvert de ce sang qui évoquait ce qu'il avait fait, ce geste qui lui paraissait à présent terriblement insensé, mais il n'avait pas pu se nettoyer et avait préféré ne pas gaspiller son énergie si inutilement.. De toute manière, il méritait d'afficher les marques de ce qu'il avait fait, de porter sa faute et que tous puissent le deviner.
Lysange aurait-elle éprouvé le même genre de culpabilité dévorante après sa trahison ? Ces sentiments l'auraient-ils donc poursuivie durant toutes ces dernières années et Inniël les aurait renforcés en accusant la jeune femme et en l'assommant de ses reproches ?
Sur le moment, toutes ces accusations lui semblaient légitimes et certainement l'étaient-elles, en un sens, mais, à présent que lui-même éprouvait cette intense culpabilité qui le rongeait en une sensation insupportable, il se figurait davantage ce qu'elle avait pu ressentir, ce qu'elle avait dû endurer et avec quels sentiments elle avait dû lutter, et il regrettait de les avoir renforcés. C'était tellement douloureux. Sans compter que d'autres sentiments, qu'il avait soigneusement ignorés et repoussés durant toutes ces dernières années, ressurgissaient violemment.
Après la trahison de Lysange, il s'était uniquement focalisé sur sa colère et son douloureux sentiment de trahison, jusqu'à en devenir enragé, tel un animal blessé. Cette rage avait été d'autant plus forte que Lysange avait été la première personne à qui il avait accordé sa confiance depuis des décennies, depuis qu'il était seul, mais elle l'avait brisée de la pire des manières. Sa vie, la façon dont il la visualisait et l'envisageait pour l'avenir, s'était à une nouvelle reprise écroulé et, cette fois, il ne lui restait plus rien.
Se concentrer, peut-être exagérément, sur sa colère l'avait empêché de appesantir sur le profond chagrin qui creusait sa poitrine provoqué par l'absence de Lysange ou sur son sentiment de solitude qui s'en trouvait également fortement intensifié. S'accrocher à son désir de vengeance lui avait permis de continuer à trouver un but à poursuivre dans son existence et à ne pas s'écrouler, ce qu'il se serait certainement produit si il s'était laissé submerger par sa tristesse. Sa rage lui avait permis de tenir debout mais elle l'avait poussé à croire qu'il voulait se venger.
Ce n'était pas qu'il n'en voulait finalement pas à Lysange, au contraire, mais il avait compris qu'il ne souhaitait pas sa mort, il l'avait réalisé à l'instant où il l'avait poignardée mais trop tard. Certainement était-ce des excuses ou de meilleures explications que les quelques justifications vaseuses que la jeune femme lui avait déjà données les yeux dans les yeux qu'il recherchait davantage qu'une vengeance dans le sang mais il n'en avait pris conscience qu'au moment où il ne pouvait plus reculer.
Ses mains tremblaient encore des heures après l'incident lorsqu'il repensait au contact du sang chaud de Lysange coulant sur ses doigts, à la sensation de sa chair se déchirant sans opposer la moindre résistance et la manière dont elle s'était affaissé contre lui.
Lui qui avait préféré se noyer dans sa rage et dans son désir de vengeance plutôt que de faire face à la douleur causée par ses autres sentiments d'abandon que lui avait laissés la trahison de Lysange, comment aurait-il pu supporter l'absence de la jeune femme, qui l'avait dévoré en l'approchant de la folie, en sachant qu'il en était responsable en l'ayant tuée ?
L'incertitude lui donnait au moins la possibilité d'espérer que Lysange ait pu être soignée et sauvée par ses compagnons, même si ne pas savoir s'avérait insupportable, cependant, même si elle avait survécu,cela n'aurait que peu changé les choses pour lui car jamais elle n'aurait pu le pardonner. Cela semblait être un juste retour des choses puisque lui-même avait refusé de l'excuser, s'accrochant à son ressentiment et à sa colère. Dans son esprit, il y avait une certaine logique dans son désir de vengeance : elle l'avait métaphoriquement poignardé alors il l'avait poignardée littéralement.
Quel idiot il était !
Son seul espoir était de pouvoir à nouveau serrer Lysange dans ses bras, même si il savait que c'était impossible, cependant pas aussi impossible que le rêve de revenir en arrière, à l'époque où il gardait le sanctuaire dans la forêt où Lysange l'avait rejoint. Peut-être avait-ce été la première fois qu'il avait été véritablement heureux depuis des décennies mais il avait lui-même tué ce souvenir de bonheur de ses propres mains.
Inniël fut soudainement tiré de ses pensées d'auto-flagellation par le sonde la lourde planche qui bloquait la porte qu'on retirait. Le demi-elfe ne s'en préoccupa pas particulièrement puisqu'il ne s'agissait certainement que de l'aubergiste venant lui apporter son repas frugale, comme cela était régulièrement arrivé depuis le début de sa détention. D'ailleurs, il laissait ces assiettes toujours presque pleines, touchant à peine à ses repas. Sa culpabilité et le mal-être qui en résultait lui coupait l'appétit et il parvenait difficilement à avaler quelques bouchées.
Aurait-il inconsciemment cherché à se laisser mourir de faim en punition pour son acte ? Il s'était posé la question mais se moquait finalement de la réponse.
Les odeurs de nourriture qui s'abîmait envahissaient sa cellule modeste mais, encore une fois, cela lui importait peu. Il ne méritait guère de confort après ce qu'il avait fait.
La lumière du jour qui entra à flots dans la remise par la porte ouverte l'éblouit, ses yeux n'y étant plus habitués à force de passer de longues heures dans l'obscurité de sa cellule de fortune.Par réflexe, il dressa le bras devant son visage en clignant des paupières pour tenter de se protéger de cette soudaine luminosité qui agressait ses rétines.
Étrangement, cette fois, personne ne glissa d'assiette dans la remise dans sa direction.
A la place, Inniël perçut qu'on l'examinait attentivement, comme si il avait été un sujet dans une quelconque expérimentation. Normalement, les villageois qui lui apportaient de quoi manger ne s'attardaient pas. Ils se contentaient de déposer l'assiette puis de prestement ressortir en refermant la porte, craignant qu'Inniël n'en profite pour tenter de s'échapper, ce qu'il ne comptait nullement faire, se laissant dépérir pour se punir en ressassant ses pensées accusatrices envers lui-même.
Le demi-elfe n'apprécia absolument pas la manière dont ce regard qu'il sentait le détailler. Instinctivement, il se mit sur ses gardes, quittant son apathie culpabilisée par un réflexe de survie. Le fait de ne pas pouvoir distinguer qui l'observait de la sorte, toujours ébloui, ne contribuait pas à le rassurer non plus.
Se tenant prêt à affronter la situation, qu'il pressentait tourner à l'hostilité à son égard, il se releva mais il découvrit ses jambes tremblantes, ses muscles affaiblis par son manque d'alimentation des derniers jours et par la position recroquevillée qu'il avait conservée durant de longues heures et il eut besoin de s'appuyer contre le mur de la remise, cependant, dès qu'il se sentit assuré sur ses jambes, il reçut un violent coup à l'abdomen qu'il ne put voir venir.
Le souffle coupé par la violence du coup, Inniël se plia en deux en s'accrochant au mur pour ne pas totalement s'écrouler.
Il avait la confirmation que ce visiteur n'avait pas de bonnes intentions envers lui, mais les villageois n'en avaient pas manifesté non plus, à raison, cependant, Inniël maîtrisait suffisamment les arts du combat en tant que demi-elfe guerrier pour constater que la personne qui venait de le frapper ne le faisait pas comme les habitants de Bourg-sur-Broliadd, elle semblait avoir suivi un entraînement.
Alors qu'il cherchait à reprendre son souffle, les dents serrées en se maudissant pour se faiblesse, quelqu'un le saisit par ses longues mèches rousses pour le tirer en arrière. Inniël crut d'abord que c'était pour lui relever le visage de force mais il comprit que c'était pour dégager ses longues oreilles effilées qu'elles camouflaient lorsqu'une voix masculine s'éleva à côté de lui en s'adressant de toute évidence à quelqu'un d'extérieur :

Le Sang des Déchus - Tome 2 : TraîtresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant