Chapitre 10 - Les envoyées du Marchand de Sable

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Bien qu'il leur tardait à tous de gagner Tikk'reth pour secourir Manolis le plus rapidement possible, les Déchus et Gaëlan s'attardèrent quelques jours à Port Tuath pour se préparer mais surtout pour se reposer, n'étant nullement en état de se lancer dans une quelconque opération de sauvetage.
Abélianne et Ysandre avaient besoin de se remettre de la souffrance et de la détresse qu'ils avaient partagée à cause de l'expérience menée par les parents de la jeune femme. L'incident avait évidemment été plus éprouvant pour cette dernière mais ses confidences sur son passé l'avaient soulagée d'un poids, comme si la pression que ses parents avaient exercée sur elle durant toute son enfance et son adolescence s'estompait enfin, la libérant en la laissant être un peu davantage elle-même. Elle pouvait également compter sur la présence et le soutien de ses camarades, que chacun lui manifestait d'une façon personnelle et différente.
En un sens, elle n'était même pas surprise et choquée de ce que ses parents avaient tenté de lui faire. Jamais elle n'avait attendu la moindre chose d'eux, qui n'entrevoyaient le monde qu'à travers les codes étriqués de la haute noblesse. Depuis qu'ils l'avaient envoyée dans ce sanatorium sans chercher à la comprendre, elle ne les considérait plus comme ses parents, si ils l'avaient un jour été à ses yeux, seulement des géniteurs. Sa seule véritable famille, celle à qui elle savait qu'elle pouvait se fier en toutes circonstances, était les Déchus, comme ils le lui avaient prouvé en la sauvant – elle était d'ailleurs particulièrement touchée que Torrie soit revenue sur sa décision et soit venue à son secours. C'était la raison pour laquelle elle tenait à sauver Manolis et n'avait pas hésité lorsque les autres lui avaient exposé la situation : car elle était de ceux qui abandonnaient les leurs.
Sa détermination et la présence de ses compagnons l'aidèrent à se remettre de cet événement plus rapidement que ce à quoi les autres s'attendaient.
Il fallut également attendre que la plaie de Lysange cicatrise un minimum, suffisamment pour lui permettre de bouger sans gêne sans risque de rouvrir sa blessure, surtout après avoir déjà fait sauter ses points de suture une première fois, même si se battre paraissait encore difficile dans son état.
Contrairement à Abélianne, elle ne se confia pas sur ce qu'il s'était passé, sur son lien avec Inniël et les raisons qui l'avaient poussé à la poignarder. A l'instar de Torrie précédemment, elle se contenta de répéter qu'elle ne voulait pas en parler, avec véhémence au besoin. Toute cette histoire et sa culpabilité n'appartenaient qu'à elle et elle doutait que quelqu'un d'extérieur puisse réellement comprendre tout ce qu'elle éprouvait, même si Ysandre captait son chagrin, sa culpabilité et son sentiment qu'elle méritait d'avoir été blessée de la sorte. Elle se demandait même pourquoi Inniël n'avait pas mieux visé.
Après tout, il savait comment ôter une vie efficacement, cependant, elle était soulagée de se trouver encore aux côtés de ses compagnons, non pas car elle s'accrochait particulièrement à la vie mais car, ainsi, elle pourrait protéger les membres de sa famille, s'interposer entre eux et le danger au besoin et faire ce qu'ils n'osaient faire pour épargner leur conscience, l'avantage d'être une mauvaise personne qui méritait les coups.
Pendant que leurs compagnons se remettaient, Gaëlan s'efforça d'élaborer un plan pour pénétrer dans le palais royal de Tikk'reth, y trouver Manolis et en ressortir aussi simplement que possible, avec le moins d'encombre possible, cependant, n'ayant jamais quitté Eluville auparavant, il manquait de connaissances sur la bâtisse royale,ignorant même à quoi elle ressemblait. Les indications plutôt décousues de Nigel et les commentaires de Torrie ne lui apportèrent que peu d'informations. Heureusement, Abélianne l'aida dans la construction de leur stratégie lorsqu'elle se sentit mieux, mais ils ne purent que créer une base de plan qu'il leur faudrait adapter une fois sur place, face au palais et avec les éléments qui leur manquaient.
Après ces quelques jours relativement paisibles, qu'ils passèrent dans une auberge légèrement isolée du reste de la ville de Port Tuath, ils décidèrent qu'ils étaient à présent suffisamment aptes pour aller sauver Manolis et qu'il était temps pour eux de se mettre en route vers Tikk'reth via le passage de la cité portuaire.
Leurs derniers préparatifs étaient bientôt achevés et ils prévoyaient de partir dès le lendemain matin, profitant d'une dernière nuit reposante avant leur opération. L'obscurité commençait lentement à tomber sur Port Tuath et Ysandre faisait le tour des chambres occupées par ses compagnons pour proposer à chacun de l'accompagner dans la salle principale pour partager un dîner tous ensemble,toujours enthousiastes à réunir ses proches autour de lui. Ces derniers jours, aucun repas ne les avait réunis autour d'une table,certains d'entre eux préférant manger dans leur chambre, notamment Lysange qui avait gardé le lit durant des heures, ou Abélianne et Nigel qui s'étaient montré le moins possible à la clientèle habituelle des lieux pour éviter qu'on ne s'interroge trop sur leurs traits camouflés, le second le faisant plus suite aux conseils de Gaëlan que sa propre réflexion, alors, Ysandre souhaitait profiter de cette occasion pour passer quelques instant tous ensemble avant de se précipiter dans le danger certainement plus sûrement qu'ils ne l'avaient jamais fait dans leur carrière, pourtant riche de mercenaires, un peu comme à la grande époque des Déchus où ils se déchaînaient dans une taverne ou une autre avant une mission.
Persuadés par la bonne humeur d'Ysandre ou simplement pour qu'il cesse d'insister, tous acceptèrent et ce fut tous ensemble qu'ils se rendirent dans la salle principale de l'auberge en échangeant tranquillement pour les plus loquaces d'entre eux, mais, en descendant les escaliers qui débouchaient directement dans la large pièce, ils eurent une forte surprise.
En plus des clients réguliers, qu'ils avaient rapidement identifiés comme tels, ils repérèrent quelques hommes qui ne ressemblaient guère aux pêcheurs locaux, avec leurs tenues de voyages, leurs cicatrices et leurs quelques armes apparentes.
En les avisant, les Déchus se mirent immédiatement sur leurs gardes, Lysange prête à invoquer ses armes malgré son état encore approximatif, Torrie en retirant ses gants violets, Ysandre tentant de décrypter les intentions de ces hommes, Abélianne élaborant une rapide stratégie de combat, Gaëlan localisant les différentes issues possibles et Nigel n'ayant pas particulièrement relevé de changement par rapport aux derniers jours mais sentant néanmoins la tension qui venait de s'emparer de ses camarades.
Massés dans les escaliers, évaluant la situation chacun à sa manière, ils repérèrent une autre personne qui tranchait avec la clientèle coutumière de l'établissement.
Assise au comptoir, la femme vêtue d'un ensemble de cuir rouge tourna ses yeux bruns vers eux en écartant une mèche auburn de son visage rond.
La dernière fois que Lysange, Ysandre, Nigel et Gaëlan l'avaient vue, elle leur tendait une embuscade depuis les hauteurs de la falaise d'Arzhogg aux côtés de Darell, mais ce dernier ne semblait pas se trouver dans les alentours.
Lorsqu'ils n'avaient pas été condamnés par tous, les Déchus entretenaient une forte rivalité avec les groupes des deux mercenaires, ce qui s'était probablement transformé en un désir d'affrontement et de capture, attisé par la prime promise par les avis de recherche.
Face à eux, Moïra ne manifesta cependant pas d'hostilité envers les Déchus et elle leur fit signe de la rejoindre mais ils n'en firent rien, méfiants. Après tout, leur dernière rencontre avait été un combat et, même lorsqu'ils avaient collaboré ensemble, il y avait toujours eu de la méfiance entre les deux groupes.
Cherchant probablement à les rassurer sur ses intentions, Moïra détacha les fourreaux de ses deux dagues fixés à sa ceinture pour les poser sur le comptoir devant elle, retirant ses armes pour prouver qu'elle ne comptait pas se battre, du moins, ses armes visibles. Ne paraissant pas davantage belliqueux que leur meneuse, les hommes de Moïra posèrent les yeux sur les Déchus, les examinant, puis, sur ordre de la mercenaire qu'elle leur donna d'un simple geste, ils retournèrent à leurs activités sans plus sembler se soucier d'eux.
En comptant Moïra, ils étaient à peine plus nombreux que les Déchus mais ces derniers ne pouvaient savoir si des renforts ne les guettaient pas depuis l'extérieur, cependant, leurs capacités non-humaines leur auraient possiblement permis de prendre le dessus en cas d'affrontement, pourtant, Ysandre apaisa la tension ambiante,qui aurait pu exploser à tout instant, en adressant un hochement du menton à ses compagnons. Aucun piège ne leur était tendu, Moïra voulait seulement leur parler mais la prudence demeurait de mise.
Sans se relâcher entièrement, toujours méfiants malgré les sensations d'Ysandre et sur leurs gardes, ils vinrent s'installer autour de Moïra, l'encerclant en lui montrant qu'ils étaient en position de force. Cette configuration tendit les homme de Moïra mais ils n'intervinrent pas.
La mercenaire prit le temps de poser le regard sur chacun des Déchus, y compris sur Gaëlan qui se tenait légèrement en retrait,certainement en une façon de les saluer, puis elle lança pince-sans-rire sans se départir de son expression impassible :

Le Sang des Déchus - Tome 2 : TraîtresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant