4. CODE ROUGE

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ELEYAH

Je file dans la salle de bain, munie d'une perruque rousse à frange que j'ai piochée dans mon bagage. Le néon bleuté au mur éclaire la pièce et je m'avance jusqu'au lavabo. Je fixe le miroir en face de moi, révélant le visage d'une jeune femme de vingt-deux ans creusé par la fatigue. Des poches bleuâtres ont fait leur apparition sous mes yeux émeraudes, rendant mes traits plus ternes. Je fais cinq ans de plus dans cet état.

Je détache mes cheveux et m'empare de ma brosse pour les démêler. Je défais tous les nœuds et continue le geste jusqu'à ce que tout soit impeccable. Je les rassemble d'une main en une queue de cheval basse, provoquant des bosses sur le haut de mon crâne. De ma paume libre, je continue à les peigner pour les réunir. Une fois que c'est fait, j'applique une noisette de gel à chaque extrémité de ma tête pour les plaquer en chignon bas. Je sors mon peigne à poil de sanglier et les tire en arrière. Des bosses persistent, m'irritant. Je rajoute un peu de gel, et réinitialise le geste en m'appliquant. Quelques mèches rebelles s'échappent, me frustrant davantage. Je réessaye, mais elles ne prennent toujours pas forme, et restent en épis au sommet. Je sens une boule se former au creux de mon ventre, prête à exploser à tout instant.

Il ne faut laisser aucune mèche, aucun frisottis.

La voix familière de Brenda, ma belle-mère, me répète ses mots : « Tu fais négligée, corrige moi ça ! Je ne veux pas voir un seul défaut ! ».

À chaque passage, j'accentue la pression espérant, en vain, que je parviendrais à mon objectif. Mes faibles biceps se contractent sous l'emprise que j'exerce autour de ma cuche, me suppliant de les reposer, mais je n'écoute pas mon corps et je persévère.

Encore un peu et ce sera bon. Je vais y arriver !

Je frotte encore et encore, m'acharnant comme une folle, mais voyant que mes efforts sont las, je lâche un cri désespéré et balance ma brosse de toute mes forces contre le miroir qui vole en éclats.

Mes jambes me lâchent et je m'effondre en larmes me rattrapant de justesse au lavabo. Je me laisse glisser le long du meuble, à même le sol, et pleure toutes les larmes de mon corps.

Toutes celles que j'ai retenue tout ce temps, toutes celles que j'ai ravalé par fierté, et celles que je ne me suis jamais autorisée à verser.

Tout s'évacue d'un coup, me prenant totalement au dépourvu. Bordel, qu'est-ce qu'il se passe au juste ? J'ignore totalement ce qu'il m'arrive, mais je suis incapable de m'arrêter.

Je me recroqueville sur moi-même, joignant mes bras autour de mes genoux. Je bloque ma tête au milieu, et tremble de toute part, secouée par mes sanglots.

Je sens des picotements sur mes avant-bras et le haut de mon crâne, mais je ferme les yeux et accepte la douleur qui me submerge.

Laisse-toi aller pour cette fois.

J'obtempère et m'adosse à la paroi de douche. Je laisse la pression redescendre et la cavale échapper de mon esprit un instant. J'aspire une grande bouffée d'air. J'expire longuement, et j'inspire à nouveau, essayant de canaliser l'angoisse qui monte en moi.

Tout va bien. Je vais bien. Je suis en sécurité à présent, me répète-je en boucle, tentant de m'en convaincre.

Je sais que cette position n'est que temporaire. Je vais devoir reprendre un rythme bien plus intense sous peu. Passer sous les radars est tout un art dans mon cas. Rien n'est laissé au hasard, et c'est épuisant de devoir faire attention à chaque détail. Je ne peux faire confiance à personne, au point de suspecter chaque passant d'être un éventuel espion.

CalendulaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant