8. L'HOMME

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ELEYAH

Un jour plus tôt...

- Les hommes me dégoûtent.

Voilà qu'à à peine vingt-deux ans, je déteste la gente masculine. N'ayant pourtant côtoyé que très peu d'hommes, ces mots font sens dans ma tête. Je feuillette mon journal dans un café côté de Tuscaloosa, où un énième féminicide y est mentionné. On ne les compte plus. Nous ne sommes qu'en début d'année mais le compteur est déjà élevé à plus de soixante victimes.

Je ne suis déjà pas rassurée lorsque je sors en ville, mais ça devient grave. Dès que je me retrouve en présence d'un homme, des interrogations fusent dans mon esprit, et la panique me prend à la gorge.

Va-t-il m'adresser la parole ? Si je le rejette va-t-il m'injurier et me menacer ? Ou pire encore, me violer et me laisser pour morte sur un quai ?

Je ne les vois plus que comme des menaces qui grondent au loin. Les intouchables. Ceux qui nous ont façonné à leur image au fil des années. Dès le plus jeune âge on nous a inculqué notre manière de penser, et d'agir. À tel point que même notre propre sexe nous trahit. On nous apprend à tenir une maison, à cuisiner, et à être des femmes dignes d'eux. Je vois encore ma mère me rappeler qu'il est important de ne surtout pas les contrarier.

- Il faut toujours les satisfaire, m'avait-elle confié alors que je la contemplais avec admiration. Sinon ils partiront comme ton père.

Je ne l'ai jamais connu. Il est parti lorsque j'avais à peine trois ans. Je n'ai donc aucun souvenir de lui, et à dire vrai, je ne m'en porte que mieux. Il l'a traitée comme une moins que rien, ce qui a fait transfert sur moi. Elle m'a transmis ses traumatismes, au point où j'ai reproduit les mêmes schémas sans le vouloir.

Je ne me suis pas emportée lorsqu'il a planté ses griffes dans ma chair. Je n'ai pas hurlé, quand ses halètements résonnaient dans mes tympans, me révulsant. Je n'ai pas parlé, quand l'irréparable a été commis. Parce que c'est comme ça.

L'homme nous surplombe. Il nous guette de haut, d'un œil accusateur. « Avez-vous dit non ? » ; « Comment étiez-vous habillée ? » ; « Vous l'avez certainement chauffé »... et j'en passe. On ne veut plus croire les victimes.

On accuse la femme de fauter, là où l'homme n'a pas su faire la différence entre le bien et le mal. On paye à leur place, au prix de nos vies. Même les survivantes ne sont que l'ombre d'elles même. C'est pourquoi je garde la tête haute, pour celles qui n'ont pas pu le faire.

- Qu'est-ce que tu lis, m'interrompt Agatha me faisant relever la tête.

- Encore des aberrations.

Je lui tends le journal, et elle secoue la tête d'indignation en lisant quelques lignes.

- « Une autre victime s'ajoute à la liste du féminicide. »

Elle marque une pause, baragouinant le reste du texte entre ses lèvres.

- Celle-ci a porté plainte trois fois contre son mari pour violence conjugale, sans succès. [...] La plaignante ne montrait aucune marque sur le corps démontrant ses accusations. »

Ses yeux ronds me scrutent, sous le choc.

- Elle avait porté plainte plusieurs fois en plus, souligne-t-elle. Ils attendaient quoi ? Qu'elle meure ?

- Il faut croire... Je ne comprendrais jamais ce fonctionnement.

Semblant réaliser la bêtise qu'elle vient de prononcer, elle pose le papier sur la table et porte sa main à sa bouche. Je sirote mon café, silencieuse. Je sais à quoi elle pense car la même pensée me travaille : Nous n'aurons jamais gain de cause. Je ne me considère pas comme étant féministe, c'est un gros mot. Preuve que les hommes ont même réussi à nous monter les une contre les autres.

CalendulaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant