Elizabeth - Salle de classe

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Après monsieur parfait, voici mademoiselle parfaite : longue chevelure blonde à la manière de Raiponce -avant la paire de ciseau-, des yeux d'un bleu perçant, une taille de mannequin, des lèvres rosées. Une fille pétillante, tout le contraire de moi.
Cette fille se présente à moi sous le nom de Charlotte Garette.

- Alors Gabin, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?

Gabin a le regard rivé sur moi, attendant mon approbation. Je vois un énorme inconvénient à ce que cette fille soit là, mais d'un autre côté, elle a l'air de bien connaître Gabin. Ils sont sûrement des amis de longue date. Il serait certainement plus collé à elle qu'à moi, et je pense que ça m'arrange.
J'acquiesce, et Gabin donne une chaise à Charlotte pour qu'elle puisse s'asseoir.
- Alors, qui est-ce qu'on choisit ? Demandais-je pour ne pas avoir à choisir.
- Baudelaire ! annonce Gabin.
Je ne sais pas s'il s'est décidé à cause de ma lecture d'avant ou si c'est simplement un choix personnel. Certes, Baudelaire est un incontournable du XIXème siècle, mais de là à ce que le hasard fasse qu'il choisisse l'auteur dont je raffole, c'est tout de même extraordinaire.
Je hausse un sourcil, Charlotte se révolte.
- Non ! Pas Baudelaire, c'est un écrivain fermé d'esprit, qui était contre le progrès.
- Tu es pour les processus de géolocalisation ? Pour les puces électroniques qu'on va peut-être nous implanter sous la peau dans quelques années ? lui répondis-je.
- Euh... Non, ce sont des systèmes qui nuiront au peu d'humanité qui nous reste.
- Tout comme Baudelaire n'aimait pas les choses modernes, tu n'aimes pas les énormes progrès technologiques du XXIème siècle, Charlotte. Elle ne parle plus, se contente seulement d'observer ses pieds. Gabin, lui, me regarde, une flamme jaillissant au fond de ses yeux verts.

Le cours se finit sans autre embûche, j'attends patiemment que la salle se vide pour être la dernière à sortir. Gabin est toujours là, c'est le dernier. 

Madame Bovaryo attend sur le pas de la porte, ses ongles tapant sur la poignée métallique. Elle est pressée, c'est normal, il est midi, elle doit avoir toute une vie de famille à gérer. Je me lève et commence à sortir de la salle, je salue notre professeure et m'avance dans le couloir vide. Gabin me suit au pas, je jette un rapide coup d'œil en sa direction, il me rattrape avec ses longues jambes. Arrivé à ma hauteur, Gabin me fixe.

- Tu ne t'es même pas présentée à moi.
- À quoi bon ? Tu dois déjà connaître mon prénom.

J'accélère le pas pour éviter de continuer la conversation, le laissant abasourdi, planté là au milieu du couloir. J'attrape mes écouteurs et prends la direction du parc principal de la ville. Tandis que je marche à vive allure, des larmes chaudes roulent sur mes joues, s'écrasant sur mes lèvres. Je ferme les yeux et essaie de me concentrer. Cette première matinée était catastrophique, je n'ai pas su bien m'intégrer, et pour les rares fois où je me suis exprimée aujourd'hui, j'ai répondu d'un ton sarcastique ou nonchalant. Je n'arriverais donc jamais à sociabiliser... Je me perds complètement dans mes pensées au point de ne même pas me rendre compte que je suis arrivée à destination.

Le parc est étonnamment très calme, c'est pourtant l'endroit le plus prisé de la ville. Je longe les abords du parc, écoutant les gazouillements des oiseaux, observant les longues rangées de fleurs multicolores, tout est superficiel mais naturel, créé par mère nature mais disposé par les humains. L'heure passe, dans mon carnet de poche j'ai griffonné les arbres environnants, les quelques mouvements que j'ai pu saisir de ces enfants qui couraient en face de moi. L'heure passe trop vite, pourtant j'aime bien cette sensation de savoir que les hommes ne peuvent pas contrôler le temps, tout le monde est pris par le temps, pas assez de temps pour ça, donc trop pressé pour ceci ou pour cela.
Stop.
Personnellement, c'est dans des moments comme celui-ci, celui où je suis simplement assise sur un banc trop dur, que j'aimerais que le temps s'arrête. C'est être seule qui me donne envie de contrôler cette notion abstraite qu'est le temps.

Je rentre dans une nouvelle salle de classe pour l'après-midi, une salle beaucoup moins poétique et beaucoup plus classique. J'arrive juste avant la sonnerie, le trajet parc-école ayant pris plus de temps que prévu. Les places sont donc toutes prises.

J'aperçois cependant une place seule au fond, je souffle intérieurement mais ça sera suffisant pour nos cours de l'après-midi. J'avance entre les rangées, sentant le regard oppressant des gens sur moi, ou alors ce n'est qu'une impression, mais parfois les impressions semblent bien plus réelles que la réalité elle-même.

Charlotte me fait un signe de tête tout comme Gabin, assis entre elle et un autre garçon qui n'était pas là ce matin. Je réponds d'un timide geste de la main avant de courir à ma place. Le cours se passe, je ne suis pas vraiment concentrée, j'attends impatiemment la sonnerie marquant la fin des cours.

Quand la sonnerie retentit, je sors de la salle de classe le plus vite possible, détachant mes cheveux en même temps que je dévale les couloirs et les escaliers. Je percute quelques élèves au passage, mais je me dépêche de courir jusque chez moi. 

Je ne veux pas le voir. Ce garçon incarne tout ce que je hais : confiant, charmeur, attentionné avec n'importe qui... Et de savoir que je dois marcher avec lui matin et soir me rend malade. Je ne veux pas lui parler.

Et s'il ne suffisait que d'une fleur ? - romanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant