Je reçois un énième message de Charlotte me demandant de lui répondre. J'ai envie de tout – surtout de revoir Elizabeth – sauf de lui répondre. J'aimerais qu'elle soit comme avant, mais je ne peux pas lui en vouloir de grandir. Elle m'a malgré moi sauvé la vie, et cette pensée m'incite à lui répondre par un simple « salut, désolé j'étais occupé ce week-end ».
Elle met très peu de temps à répondre : « Encore en train de draguer ? ». Je lève les yeux au ciel et ne réponds pas, posant mon téléphone sur le plan de travail avant de m'éloigner pour rejoindre ma chambre.
D'aussi loin que je me souvienne, Charlotte n'a jamais aimé mon côté coureur de jupons. Mais Elizabeth, je ne la drague pas ; je prends mon temps pour la découvrir. Je m'étire sur mon lit avant de me rendre compte que je n'ai pas fait la dissertation de philo. Ma conscience vacille entre rester planté là à procrastiner en me remémorant ce week-end invraisemblable ou me lever et la finir.
Finalement, la raison l'emporte sur la déraison et je finis par me lever pour travailler. Les lignes se profilent sur ma feuille et s'emmêlent dans ma tête, je flotte dans un océan d'arguments sur la thématique du beau et du laid, et je finis par m'écrouler de sommeil sur mon bureau.
Le lendemain, les rayons du soleil viennent chatouiller mes yeux et me réveillent. Je regarde le réveil. Mince, je vais être en retard. Je me lève, attrape ma feuille avec ma dissertation aux trois quarts finie, jette mon sac sur le dos, enfile mes chaussures à la hâte et me presse sur le chemin de l'école.
J'arrive essoufflé devant la classe, je reprends mon souffle et toque à la porte. La voix grave de mon professeur de philo résonne.
- Entrez.
Je passe la porte et la première chose que je remarque, c'est qu'Elizabeth n'est nulle part. Je m'excuse de mon retard et vais m'asseoir entre Charlotte et Sébastien.
Monsieur Arlete continue son cours en expliquant la vision des Grecs sur le beau et le laid.
- Le cosmos, le monde, un univers harmonieux...
J'essaie de capter l'attention de Charlotte pour lui demander où est Elizabeth, mais je me ravise très vite. Elles ne sont pas amies, elle n'en sait donc rien. Je prends sans grande conviction des notes sur le cours, mais mes pensées divaguent, jusqu'à ce qu'une phrase retienne mon attention.
- Les Grecs trouvent laides les choses incohérentes.
Des coups proviennent de la porte, notre professeur répond en grommelant. La porte s'ouvre, laissant place à Elizabeth, à bout de souffle, les joues rouge vif, ses cahiers en vrac dans la main, ses cheveux roux en bataille.
- Tiens, mademoiselle Grace, ce n'est pas dans vos habitudes d'être en retard.
Elle balbutie des excuses et pose sa dissertation sur le bureau de notre professeur. Elle avance tête baissée vers le fond de la salle, je me lève, attrape précipitamment mes affaires et mon sac, et me lève soudainement pour la rejoindre.
- Eh, tu vas où, mon pote ? me demande Seb. Je secoue la tête de droite à gauche et continue sur ma lancée pour rattraper Elizabeth. Monsieur Arlete n'en dit rien et continue son cours comme si de rien n'était. Je m'assois à côté d'elle. Comme à son habitude, elle s'installe du côté de la fenêtre. D'ailleurs, les halos émis par la lumière du soleil coincée entre les gros nuages rehaussent parfaitement le teint d'Elizabeth.
Elle souffle et ne m'adresse qu'un simple regard.
- Eh, tu as loupé une partie super intéressante du cours ! lui chuchotai-je en lui tendant mon cahier où affluaient les bribes de phrases de monsieur Arlete.
- Chaque partie de son cours est intéressante, chuchote-t-elle à son tour, les dents serrées.
Elle écarte mon cahier du revers de sa main et plante ses incroyables yeux noisette dans mes yeux verts. Elle passe une main dans ses cheveux pour les recoiffer. Le temps semble s'être arrêté ; mon corps et mon âme n'ont jamais réagi comme ça à un simple mouvement de main.
- Alors, s'il te plaît, Gabin, laisse-moi juste écouter ce cours, ne me parle plus juste le temps de ce cours.
Son expression est confuse, mais la mienne doit l'être tout autant. Une décharge me traverse le corps : je l'ai dérangée...
Je tourne la tête, et mon regard se pose à nouveau sur elle. Ce n'est pas la première fois que je la regarde si intensément, mais j'ai toujours l'impression de découvrir un nouveau fragment d'elle, une nouvelle partie mystérieuse, cachée derrière ses longs cheveux qui la protègent, ses yeux qui essaient de dissimuler un autre événement traumatisant.
J'attrape furtivement un stylo dans ma trousse, ce qui, malgré moi, la fait sursauter. Elle me lance un regard glacial qui signifie clairement que je dois me calmer. Je ris et son visage s'adoucit. Je saisis donc mon stylo avant d'attraper le bout de son cahier pour y dessiner une fleur. Je la sens râler, mais elle ne fait aucune remarque, se laissant faire. Je lui rends son cahier et affiche un grand sourire. Son visage s'illumine légèrement avant de me lancer un regard interrogateur.
- Cette fleur, c'est quelle espèce ? me chuchote-t-elle.
- Tu insinues que je dessine mal ?Je hausse un sourcil et il me semble apercevoir un rictus sur son doux visage.
- Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit, souffle-t-elle entre ses dents tout en me fixant droit dans les yeux.- Ça suffit au dernier rang ! Monsieur Arlete hausse le ton. Vous arrivez en retard, changez de place en plein milieu du cours et maintenant vous perturbez tout le monde.
Nous nous excusons, mais Elizabeth me lance un regard accusateur.
L'heure de cours prend finalement fin. Comme à son habitude, elle attend que la salle de classe se vide entièrement avant de sortir. Personnellement, je l'attends à l'extérieur de la salle contre le mur.
Je l'observe à travers la porte. Elle s'avance légèrement vers le bureau de notre professeur, lui parle de quelque chose mais je n'entends pas. Elle tourne la tête en ma direction, hoche légèrement la tête. Je ne sais pas si ce geste m'était adressé, mais j'y réponds.
Elle sort, suivie de près par monsieur Arlete. Elle passe devant moi et je la suis. Une fois dehors, elle s'élance vers notre rue sans me jeter un regard. Je la rattrape facilement avec mes grandes jambes.
- Tu m'en veux ? demandai-je, sceptique face à ses réactions.
- Non, Gabin, ça m'ennuie juste.
Je lui attrape l'épaule et la tire légèrement vers moi.
- Ça t'ennuie que monsieur Arlete nous ait engueulés ou que tu ne trouves toujours pas de quelle espèce est ma fleur ?
Elle se retourne et lève les yeux au ciel. Elle est parfaite.
- Tu es bête.
Elle m'attrape la manche de mon gilet. Elle l'a déjà fait auparavant, lors d'une de nos nombreuses virées nocturnes. J'ai toujours eu l'impression d'être plus proche d'elle la nuit que le jour, comme si quelque chose nous obligeait à nous tenir à distance, comme si cette chose était invisible aux yeux des autres, mais pas aux miens.
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Et s'il ne suffisait que d'une fleur ? - roman
RomanceGabin cherche à cacher son secret pour paraître invincible. Elizabeth cherche à guérir de la perte traumatisante d'un être cher. Lui est un charmeur extraverti, et elle, une artiste introvertie. Rien ne les préparait à se rencontrer. Mais quand elle...