Après avoir pris un repas rapide par manque de temps après avoir trop rêvassé, à savoir un sandwich thon mayo salade trouvé dans le premier supermarché du coin, je rentre en classe.
Cette fois-ci à l'heure, même en avance. À ma grande surprise, Charlotte est assise à l'opposé de la classe, bien loin de la place qu'elle occupait les autres après-midi.
Je m'avance dans la classe sans y prêter réellement une grande attention, quand je sens une main agripper mon tee-shirt. Je me retourne brusquement et aperçois Gabin, la tête penchée en avant, me regardant droit dans les yeux.
- Viens t'asseoir à côté de moi, dit-il sans lâcher mon regard.- Je te supporte déjà le matin, ce n'est pas pour avoir à te supporter l'après-midi.
Je croise les bras et m'apprête à me retourner quand il continue, à peine perturbé.
- Et tu vas même me supporter ce soir.
Il me lance un clin d'œil, mais je reste ferme. Vu le nombre de filles qui tournent autour de lui à la pause, rares sont celles qui refuseraient de s'installer à côté de Gabin Melio, mais je ne suis pas elles. Je n'ai ni besoin d'attention, ni d'amour, ni d'amis.
Je tourne donc les talons en direction de ma place d'hier, sentant le regard de Charlotte sur moi tout au long de mon court trajet.Je m'installe en boule, pieds sur la chaise, bras entourant mes jambes. Je jette la tête en arrière et regarde le fond de la classe. Le mur est plus jaune que blanc, il mériterait un bon coup de peinture.
Notre professeur, Monsieur Arlete, est notre professeur de philosophie. Son cours est incroyable, tout comme lui. Il est certes plutôt âgé, mais son regard pétille dès qu'il parle. Il marche avec une telle élégance. Je suis captivée par ses mouvements de main quand il parle, je bois ses paroles. Jamais un professeur n'avait réussi à m'intéresser autant.Les deux premières heures passent beaucoup trop vite. Je n'ai pas eu l'occasion de participer. Enfin si j'aurais eu l'occasion, j'avais même les réponses, mais je n'ose pas, pas encore. Enfin, jamais finalement.
Je suis très bien au fond de la salle de classe à gratter tout ce qu'il dit dans mon cahier de cours déjà annoté sur plusieurs pages. Il m'en faudra un nouveau d'ici le milieu de l'année. Enfin, si je reste en cours cette année.
La fin des deux premières heures arrivent, des soupirs de soulagements se font entendre dans la classe. C'est vrai que le cours est plutôt dense, mais ça me plaît.
- Prenez une pause, nous dit le professeur. On se retrouve dans vingt minutes.
Je reste assise à ma place, regardant mes camarades sortir un à un de la salle.
- Tu attends que tout le monde parte pour sortir ou tu restes ici ?
Sa voix résonne à côté de moi. Je n'ai déjà plus besoin de tourner la tête pour savoir que Gabin doit être assis sur la table derrière moi, me regardant.
- Je ne compte pas sortir, non, réponds-je d'un ton las, bien que ma voix tremble un peu.
Je ne comprends pas pourquoi je suis aussi perturbée en ressentant sa présence. Je l'entends se lever de la table. Il prend une chaise d'une main, l'autre fourrée dans sa poche. Il s'installe à l'envers, mettant le dos de la chaise contre son torse, s'installant à califourchon.
Je ne peux m'empêcher de rire intérieurement en imaginant toutes ses groupies fantasmant à l'idée d'être à la place de cette chaise. Il est ridicule à s'installer de la sorte. Il est le profil type du bad boy, montrant son assurance et cachant ses névroses. Mais les yeux ne mentent pas, et j'ai pu voir d'assez près ce regard éteint.
- Nyctophilie ?
Gabin est penché sur mon carnet et lit avec attention mes notes. Je le laisse faire. J'aurais dû le repousser, mais il me fait perdre la tête. Le fait que quelqu'un s'intéresse autant à moi n'était pas arrivé depuis longtemps.
- Trouver réconfort et relaxation dans la pénombre de la nuit, explique-je en baissant la tête.
Il m'attrape délicatement le menton, son regard croisant le mien, et mon cœur s'emballe délicieusement.
- Tu es nyctophile donc. Ça te va très bien.
Je bafouille, certainement rouge de honte. Il lâche mon visage et me lance un grand sourire. Je rigole beaucoup moins intérieurement quand je me rends compte que je ne suis rien de plus qu'une de ces filles qu'il charme. Je reprends petit à petit mes esprits et referme violemment mon cahier. Il me fixe, une vague d'incompréhension passe sur son visage. Je me lève d'un coup, ne manquant pas de faire tomber ma chaise à la renverse. Il la rattrape juste avant qu'elle ne claque contre le mur. Je la lui saisis des mains.
- Je n'ai pas besoin de toi, je... je suis grande.
Je m'assois sur ma chaise et prends ma tête entre mes mains
.- Retourne avec les autres s'il te plaît.Et il s'en va.
Mes camarades rentrent peu à peu dans la salle. Je fixe mes pieds. Une fois tout le monde installé, je relève la tête. En face de moi se trouve Charlotte, en train de refaire sa queue de cheval si parfaite, tandis que la mienne ressemble à la queue d'un poney pas entretenu depuis des mois. Je suis légèrement surprise qu'elle ait repris sa place. Elle est assise à côté du fameux garçon - Sébastien je crois- et de Gabin, qui tourne la tête au même moment. Mon regard rencontre le sien. Il fait une mine désolée et hausse les épaules. Je détourne le regard, au bord des larmes. Les gens m'effraient.
Monsieur Arlete reprend son cours, mais il n'a plus de saveur. La dernière heure passe très lentement, et je me retiens de pleurer tout au long du cours.C'est enfin fini. Je rentre chez moi, suivie bien sûr par Gabin. Mais, à ma grande surprise, il laisse une marge conséquente entre lui et moi sur la route. Je presse le pas comme à mon habitude tandis qu'il marche d'un pas lent. Ma tête est levée vers le ciel, d'un bleu éclatant, comme les yeux de Charlotte. Cette fille est la personnification même de l'été : cheveux blonds comme les reflets du soleil, yeux aussi bleus que le ciel, une peau légèrement bronzée. Elle sent même la mer, les vagues se fracassant contre la côte, tout comme mon âme se fracasse à l'intérieur de moi.
Je ne peux m'empêcher de penser à lui.
Pas à Gabin, mais à lui...
Je suis prise de nausées et je cours sur les derniers mètres qu'il me reste à parcourir. J'attrape mes clés dans ma poche et me dépêche de rentrer dans mon appartement. Une fois rentrée, je claque la porte et m'adosse contre celle-ci. Je me laisse glisser jusqu'au sol et fonds en larmes.
Quelques heures plus tard, du revers de ma manche, j'essuie mes lèvres mouillées par l'eau glacée de ma bouteille. Mon ventre est vide. La seule substance qu'il a avalée ces derniers jours est un peu de nouilles, un sandwich et cette eau froide qui s'écoule de mon robinet pour atterrir dans la même bouteille d'eau de 50 cl. Cette bouteille que j'affectionne tant, car elle reflète l'entièreté de ma personne. Une simple bouteille un peu fripée par les usages quotidiens, à la fois pleine et à la fois vide. Le vide... c'était une sensation si peu connue des gens de maintenant. Il faut toujours ressentir une émotion, l'exprimer, la vivre. Mais comment vivre quand on n'en ressent pas le besoin ?
Je regarde par ma fenêtre. La nuit commence doucement à tomber. Je me dirige vers la salle de bain. Je laisse mes vêtements glisser le long de mon corps pour atterrir sur le sol. Je rentre dans ma cabine de douche et allume l'eau. Elle est gelée. Mes muscles se contractent, mais je laisse l'eau froide ruisseler sur mes cheveux longs, trop longs. Ou pas assez, cela dépend du point de vue.
Je me retourne et cale mon dos contre la paroi froide de ma douche. Je bascule ma tête en arrière, laissant l'eau s'écouler sur mon visage et sur le reste de mon corps. Je reste quelques minutes ainsi, entendant simplement le bruit de l'eau qui s'échappe par gouttelettes du pommeau de douche. Le bruit remplit la pièce.
D'un coup, je sursaute. Le pommeau vient de tomber au sol, le bruit qu'il a émis est fort et sourd. Je relève la tête et regarde en face de moi. Il y a un grand miroir empli de buée, mais je distingue la courbe colorée qui définit mon corps. Je secoue la tête et ferme l'eau. Je laisse le pommeau au sol et enfile une serviette de bain.
Je l'enroule autour de moi et me couche sur le parquet froid de ma salle de bain. Je ferme les yeux quelques instants et, pendant une seconde, je vais mieux.
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Et s'il ne suffisait que d'une fleur ? - roman
Roman d'amourGabin cherche à cacher son secret pour paraître invincible. Elizabeth cherche à guérir de la perte traumatisante d'un être cher. Lui est un charmeur extraverti, et elle, une artiste introvertie. Rien ne les préparait à se rencontrer. Mais quand elle...