Elizabeth - Chambre de Gabin

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Je reste abasourdie face à ses paroles. Comment un garçon si remarquable que lui pouvait réellement s'intéresser à une fille perdue comme moi ? Cependant, j'ai appris que derrière son masque de perfection, il cache bel et bien une âme brisée.

Je me colle discrètement contre lui, ressentant des picotements dans tout le corps. Je l'écoute me parler de l'histoire de sa chambre, une chambre pleine de secrets, où personne n'y pénètre généralement, une chambre décorée depuis sa tendre enfance où aucune décoration n'a été déplacée ni enlevée. Cela se perçoit avec ces restes de dessins de jeunes enfants, ces fragments de tapisseries et de peinture un peu partout.

Je m'assois sur un bout de tissu coloré et délavé. Gabin fouille parmi ses vinyles dans l'optique, selon lui, de me faire découvrir ce qu'est la vraie musique, même si je suis plutôt concentrée à apprendre qui est le vrai Gabin Melio.
- Pourquoi tu m'appelles petite fée depuis le début ?
Ma phrase est sortie sans que je m'en rende réellement compte, mais finalement, je suis bien contente d'avoir osé demander.

Il se raidit un instant et se retourne presque instantanément vers moi, cherche mon regard et se rapproche. Le son du vinyle allemand devient de moins en moins perceptible quand Gabin s'avance et s'agenouille face à moi. Il s'avance délicatement vers moi, certainement pour ne pas me brusquer comme il a pu le faire dans le passé.

- Tu sembles libre, rêveuse, amoureuse du peu de véracité que t'offre la vie. Tu es si angélique, comme une fée, et je voulais percer le mystère de la jolie rousse qui se volatilise durant les nuits douces de l'été.

Je souris intérieurement, jamais on ne m'avait dit ça.

- Tu es sincèrement bizarre, il n'y a aucun mystère. Je préfère juste m'aventurer dans les créations de mère nature plutôt que dans le monde des humains.

Il aborde un sourire de fierté.

- J'avais raison, tu es une fée, pas une humaine.
Je souffle, mais je sens mon corps s'apaiser encore plus. Il est toujours proche de moi, je peux observer chaque détail, chaque trait et courbe de son visage. Ses traits se contractent quand il parle, je réponds pour continuer à le voir parler.

- Pourquoi ?

- Les humains sont similaires à un puits : si l'on s'y penche un peu trop, on risque d'avoir le vertige, ou de tomber trop profondément et de ne plus jamais apercevoir une once de lumière.

Je frissonne en repensant à mes cauchemars et à cette journée-là, je cligne des yeux pour faire disparaître l'image.

Sans crier gare, il me plaque au sol et affiche un sourire narquois.
- Tu n'as pas trop peur de tomber si tu te penches trop vers moi ?

Je suis mitigée entre me sentir rassurée qu'il soit là, j'ai confiance en lui, ou être terrifiée d'être retreint de mes mouvements. Malgré le conflit interne, j'arbore une mine arrogante comme une barrière. Je lui mets alors un léger coup dans l'avant-bras pour le faire tomber. Puis tout s'enchaîne rapidement : je le retourne facilement, trop facilement pour qu'il ne se laisse pas faire de son propre gré. Je suis au-dessus de lui, prête à le rembarrer, quand la porte s'ouvre, laissant place à une femme d'environ la trentaine, des cheveux châtains ébouriffés à la manière de Gabin. La dame que j'avais vue en venant chercher sa guitare.

Je me relève honteuse et fixe le sol. Gabin serre dans ses bras la femme qui n'a pas encore prononcé un seul mot, elle m'observe mais je ne ressens pas une pointe de jugement dans son regard.
- Ta nouvelle amie, finit-elle par articuler.
Gabin acquiesce. Mais je reste bloquée sur le terme ami, j'étais à califourchon sur lui, elle n'est plus censée croire que nous sommes amis. À moins qu'elle ne soit habituée, ou alors qu'il soit homosexuel, je ne sais que penser..

Je m'avance vers elle.
- Bonjour madame, Elizabeth Grace, on s'est déjà rencontrées.
- Bonjour mademoiselle, oui je me souviens de toi. On n'avait pas eu l'occasion de faire plus ample connaissance. Oh et par pitié, appelle-moi Sandra.
- Oh, d'accord.

Je regarde Gabin dans l'espoir d'un soutien, et heureusement il me rend mon sourire des yeux, une façon bien à nous de communiquer, comme les fleurs.

La femme prend finalement Gabin à part, mais elle n'est pas très discrète et j'entends tout ce qu'elle lui dit.
- Ta mère s'est réveillée, elle va bien mais est très fatiguée. Comme elle a besoin de repos, je pensais aller la récupérer en fin de semaine et la garder un peu chez moi, vu ton jeune âge et ta situation...
Elle marque une pause, ne dit rien, mais je comprends qu'elle parle implicitement de sa maladie.

Gabin répond positivement à la requête et promet de passer voir sa mère au moins une fois par jour. Elle lui répond qu'il n'est pas obligé, il n'insiste pas et je comprends très bien qu'il ira après nos cours.

La dame s'en va après avoir refusé de manger avec nous. Je la salue sur le pas de la porte d'entrée avec Gabin. Nous rentrons ensuite, mais je ne pose aucune question, je le laisserai m'en parler quand bon lui semblera.

J'observe le plafond, les pieds ballant sur la chaise de la cuisine, je sens son regard sur moi et quand je tourne la tête en sa direction, je le vois en train de prendre discrètement ses médicaments. Je détourne le regard pour éviter de le gêner. Je continue mon observation intense du plafond d'un blanc pur et vif, la peinture est récente et elle contraste avec l'atmosphère vintage qui règne à l'extérieur de la maison.
- Eh oh, Elizabeth, je te parle.
Je tourne furtivement la tête en sa direction.
- J'étais dans mes pensées.
Il sourit.
- Je vois ça.
S'ensuivent quelques secondes de silence avant qu'il ne se décide à me parler.
- Qu'est-ce que tu veux manger ce midi ?

Je sens mon cœur s'emballer, comment lui dire que je ne mange pratiquement rien. Je me contente de hausser les épaules et de lui dire que je n'ai pas vraiment faim. Je ne devrais d'ailleurs pas tarder à rentrer, même s'il n'y a personne qui m'attend réellement.
- Qu'est-ce qui te tourmente tant, ma jolie fée ? demande-t-il.

Je grimace à l'entendre me parler ainsi.
- Rien du tout, je me disais simplement que je devrais rentrer.

Il soupire mais ne dit rien, il se retourne en direction du plan de travail. Je me lève et attrape la poêle qu'il tient en main.- Des crêpes ? demandais-je.

Il acquiesce et sort les multiples ingrédients. Les bruits des poêles, des œufs qui se fracassent sur le saladier, du lait versé se mêlent à l'odeur du gaz émis par la gazinière de Gabin, accompagnés par nos fous rires suite à notre essai catastrophique de faire une pâte sans grumeaux. Le soir arrive beaucoup plus tôt que prévu et Gabin me propose finalement de passer la nuit chez lui. Je refuse. Je rentre chez moi et la première chose que je fais est de faire couler l'eau de la douche.

Et s'il ne suffisait que d'une fleur ? - romanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant