Gabin - Dans la rue principale

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Je cours dans la rue, ne sachant pas réellement où je marche. Je sais où je dois aller, mais mes yeux brouillés par les larmes m'empêchent de suivre le bon chemin pour aller vers l'hôpital.
Je cours, essoufflé, j'en demande trop à mon corps, alors à bout de souffle je m'assois par terre.
Les larmes prennent le dessus, les passants me fixe, je suis incapable de continuer et pourtant je dois le faire, je dois aller jusqu'à l'hôpital.

Un groupe de jeunes, ayant environ mon âge, passe à côté. Je dois être ridicule, je ferme les yeux et m'assois en tailleur.

Je sens une main chaude sur la mienne, une fille m'observe avec ses yeux globuleux, cachés derrière ses grosses lunettes.
- Tu vas bien ?
Sa voix est douce, elle s'accroupit à côté de moi, un énorme livre entre ses mains.
- Sympa ton livre, très discret. Dis-je pour feindre que tout va bien.
Elle rigole et me le tend.
- Tiens, prends-le !
Elle se lève et époussette son jean beige en velours. Elle me sourit et me fait un signe de tête.
- J'espère que ça va aller.
J'ai à peine le temps de la remercier qu'elle s'éloigne en direction du reste de son groupe d'amis.
Son apparition m'a perturbé. J'observe le livre qu'elle m'a donné, la couverture est reliée manuellement et la première page est vide. Je feuillette le bouquin, un recueil de poèmes, mais aucun ne me semble familier.

Je hausse les épaules et coince le livre sous mon bras. Je continue vers l'hôpital d'un pas pressé, essayant de ne plus verser de larmes.

J'arrive rapidement devant l'immense bâtiment grisâtre, je cours à l'accueil, passant les portes automatiques en essayant de ne pas bousculer les gens.
J'arrive devant le comptoir, plus qu'essoufflé d'avoir couru les quelques kilomètres qui séparent ma maison de l'hôpital.
- Bonjour madame, je viens voir ma mère, Maude Melio.
La femme me fait signe d'attendre. Je tape du pied, impatient qu'on me donne plus d'informations qu'au téléphone.

Après quelques minutes, la dame de l'accueil m'informe de la chambre où se trouve ma mère. J'y cours, mon cœur battant à toute vitesse.
Je toque à la porte, j'attends un peu, la porte s'ouvre et j'aperçois un infirmier. Il m'emmène dans le couloir, je peux voir à travers la porte entrouverte ma mère allongée sur le lit.
- Vous êtes ? me demande l'infirmier.
Je reste bloqué sur l'image de ma mère dans le lit, je déglutis, peinant à parler.
- Gabin Melio, fils de Maude Melio...
Je lui tends ma carte d'identité, il acquiesce.
- Vous vous ressemblez beaucoup.
Je sais que c'est faux, je ressemble beaucoup plus à mon père.
- Votre mère est tombée dans les pommes dans votre jardin, continue l'infirmier.
Les larmes commencent à monter, je cligne plusieurs fois des yeux pour les chasser.
- Vous pouvez attendre qu'elle se réveille, mais elle sera un peu fragile.
J'acquiesce et entre dans la chambre d'un pas lourd, avançant vers le siège en face de son lit.

Après plusieurs minutes, je m'avance vers la fenêtre. J'observe les patients, j'en remarque une en particulier. Elle se tient en contrebas, dans la cour de l'hôpital, elle ressemble à une musicienne seule sur scène. Est-elle dans sa bulle, cet endroit paisible, enfantin et unique ? Malgré ça, elle regarde le monde avec un regard froid, distant, amputé de toutes couleurs, de toutes sources de joie. Son teint est comparable à la couleur de la neige fine et légère des mois d'hiver, ses cheveux roux sont tressés, mais quelques mèches rebelles se dérobent pour suivre le mouvement ample du vent faible mais joueur de septembre. Elle se tient droite dans son fauteuil démesuré, elle a perdu foi en le monde et elle le fait ressentir au travers de ses expressions exagérées. Elle a chaud mais cache sa peine sous un énorme manteau gris, couleur de la faiblesse. Pourtant, la femme qui se tient devant moi est tout sauf faible. Elle résiste aux coups de la vie en avançant lentement mais courageusement, un pas devant l'autre pour pouvoir à nouveau, un jour, parsemer son existence de paysages colorés.

Je regarde ensuite ma mère. Elle aussi, est tout sauf faible, mais sa santé se fragilise d'année en année, et je le sais. Je retire mon regard de son visage pâle et retourne m'installer dans le siège.

Je repense au livre que m'a offert la fille mystérieuse dans la rue, j'ouvre la première page et lis le texte qui y est écrit. Ce n'est pas un poème, mais plutôt un fragment de pensées.

« C'est le genre de fille qui te comprend sans un bruit, le genre qui n'a pas besoin de lettres pour raconter, de syllabes pour s'exprimer, de mots pour comprendre le monde. Ce genre de fille qui en un regard, te fait ressentir ce que tout le reste du monde n'a jamais pu t'offrir. Celle qui sait saisir la beauté du monde qui l'entoure, qui arrive à saisir entre ses doigts la force d'oublier son passé. »

Je lâche un rictus, la première personne qui me vient en tête en lisant ce texte, c'est Elizabeth.

Le temps passe. J'ai fini de lire tous les poèmes du recueil mystérieux, ma mère ne se réveille toujours pas, et les infirmières défilent dans la chambre. Chacune d'elles aborde un autre regard : de la compassion envers l'enfant qui attend le retour de sa mère fragilisée ou bien du mépris envers ma personne quand je pose trop de questions sur les causes de son état, ou tout simplement rien, aucune émotion perceptible.

Il est déjà tard dans l'après-midi quand ma mère se réveille, faible et fragile, le regard vacillant, le teint pâle. Elle me regarde et des larmes se forment aux coins de ses yeux. Je me lève de ma chaise et accoure à son chevet, j'attrape sa main, elle pleure, s'excuse, bute sur ses mots.
Ma gorge est nouée, je suis incapable de parler, mes yeux se remplissent de larmes à mon tour, je la serre dans mes bras et pleure en silence avec elle pendant de longues minutes, lui disant que ce n'est pas sa faute, elle n'a pas à s'excuser.

Je rentre chez moi après m'être fait chasser par les infirmiers qui m'ont dit de ne pas m'inquiéter, elle rentrera bientôt, elle a simplement besoin d'un vrai repos. Je marche lentement sur le chemin, la tête remplie d'éclats de pensées diverses et variées : Elizabeth, ma mère, l'école, ma maladie. Les pensées se bousculent, s'entrechoquent, me procurant un énorme mal de tête.

Je poursuis le chemin jusqu'à ma maison. J'arrive sur le pas de la porte et découvre un post-it : « On se refait ça ce soir :) ». Je souris. Elizabeth. Elle n'est plus aussi réticente qu'au début. Malheureusement, je ne me sens pas en état d'y aller ce soir.

Et s'il ne suffisait que d'une fleur ? - romanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant