Gabin - Chambre 215

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Je me réveille à bout de force, ma vue est brouillée et je sens un poids sur ma jambe droite.

Je tourne le regard vers cette dernière et, à ma surprise, je découvre Elizabeth endormie sur ma jambe. J'essaie de la secouer avec difficulté tant mes membres me semblent engourdis, et puis, elle semble profondément endormie.

Je l'observe quelques instants avant d'être dérangé par deux infirmières qui viennent me voir. Celles-ci me parlent et me demandent comment je me porte. Je me sens très secoué, mais je réponds simplement à leurs questions par un « oui » ou par un « non ». Elles me prennent la tension, la température et effectuent tous les autres contrôles médicaux auxquels je suis habitué. Elizabeth s'est entre-temps réveillée et attend au fond de ma chambre. Je remarque qu'elle tient entre ses mains le collier que je lui ai offert.


- Encore quelques jours à l'hôpital et tu pourras sortir si tu t'en sens capable. On en profitera pour faire tes contrôles sur ta maladie.

Les deux infirmières me saluent après avoir dit à Elizabeth qu'il va bientôt être l'heure de la fin des visites. Elle reste stoïque, je la sens trembler d'ici. Intérieurement, je soupire. Il est évident que je n'ai pas réellement envie de lui expliquer ce que je fais ici, mais je l'invite tout de même à s'asseoir sur mon lit. Elle est réceptive à mon invitation et s'approche, ôte ses chaussures et s'installe en tailleur sur mes jambes, par-dessus la couverture blanche de mon lit.

- Vas-y, pose tes questions.

Elle ne répond rien, se contentant seulement de pointer un vase débordant de fleurs.
- C'est pour moi ?
Elle acquiesce, et finit par parler.
- Chaque jour depuis ton arrivée ici, après les cours, je t'apportais un bouquet d'achillée ainsi que les copies des cours.
Elle pointe cette fois-ci une pochette contenant des feuilles.
- Je suis ici depuis combien de temps ?
J'appréhende la question autant que la réponse.
- C'était ton quatrième jour aujourd'hui, et comme nous sommes samedi, je suis là depuis... Elle marque une pause, observe l'horloge. Depuis cinq heures.

Je n'ose pas croire ses révélations.
- Tu t'en es bien sorti, Gabin. J'ai cru que tu ne reviendrais jamais
.À ces mots, elle explose en sanglots. Je la prends fragilement dans mes bras, elle cale sa tête dans le creux de mon épaule, son corps est proportionnellement adapté au mien. Je caresse ses cheveux du bout de mes doigts blancs et maigres.
- Désolé, je ne pensais pas autant compter à tes yeux. Et... ce n'était pas censé arriver.
- Je ne savais pas que tu comptais pour moi avant cet événement non plus. Je reviens lundi soir avec les cours, on en reparlera si tu veux. Je dois partir avant de me faire chasser à coups de balai par les infirmières.

Elle se relève et remet ses chaussures puis sa veste, c'est vrai qu'il commence à faire frais. Elle me salue d'un revers de main et s'évade par la porte.

Je suis maintenant seul dans cette chambre et me demande comment va ma mère. Je penserai à demander quand les infirmières du soir passeront. Je regrette que ma tentative de calmer une émotion trop forte pour moi ait failli m'y faire passer. J'aurais dû être plus attentif.

Pour éviter de trop y penser, je me décide à pencher ma main vers les copies des cours - des leçons basiques mais importantes. Je feuillette tout ça quand je tombe sur une feuille arrachée d'un cahier dont je reconnais immédiatement la provenance : c'est celui d'Elizabeth. Dessus est écrit mon prénom et un petit texte : « Le son du piano résonnait dans toute la pièce, elle fermait les yeux en se laissant guider par le bruit des touches, son existence même était vouée à l'échec. Pourtant, ce jour-là, elle se sentait légère, fière d'avoir accompli quelque chose pour la première fois. Ses muscles n'étaient plus dotés d'aucune force, alors ses doigts froids et faibles laissèrent tomber la boîte de médicaments contre le sol dur, ce qui provoqua un bruit sourd, dérangeant, contrastant ainsi avec la sensation agréable de la musique qui s'échappait de la radio. Ses yeux se fermaient doucement et elle se sentit partir. Son cœur laissa échapper un dernier battement avant qu'elle ne s'endorme pour l'éternité. »

Avec une note en dessous : « J'ai écrit ça il y a des mois déjà, mais j'ai pensé que tu aimerais lire ».

Je suis bouche bée face à sa plume, je comprends mieux sa réaction vis-à-vis de moi. Et si elle avait déjà voulu en finir...

J'observe maintenant les fleurs, le signe de la guérison, du rétablissement. J'aime que notre langage soit celui des fleurs. Je crois que je veux que mon monde soit elle.

Le lundi arrive et je trépigne d'impatience de la revoir. Il est 17h30, elle ne devrait plus tarder à arriver. Les minutes défilent et alors que je perdais espoir de la voir arriver, la voilà qui passe la porte de ma chambre, un regard pétillant.
- Qu'est-ce qui me vaut cette jovialité ?
- Un petit cadeau, répond-elle les yeux pleins de malice.

Elle dévoile sa main cachée derrière son dos et révèle ma guitare. Je suis abasourdi.
- Mais comment as-tu fait pour la récupérer ?
- Haha, je rentrais chez moi et j'ai vu une dame, te ressemblant beaucoup maintenant que j'y pense, devant chez toi. Je me suis présentée comme étant une amie à toi et j'ai demandé pour te rapporter ta guitare. Je savais que tu en jouais, tu en as parlé une fois en cours. J'ai jugé bon de le faire. Elle me l'a descendue, je ne suis pas entrée à l'intérieur si jamais.

Je la vois rougir et je ne peux m'empêcher de rigoler.

- C'est super, merci, et ne t'inquiète pas, je t'ai observée par ma fenêtre. Alors tu aurais bien eu le droit de rentrer dans ma chambre sans mon accord. On aurait été quitte.
J'ajoute un clin d'œil à mon discours, et gratte quelques cordes sur ma guitare. C'est vrai qu'elle m'a beaucoup manqué. Je suis reconnaissant que ma tante ait laissé Elizabeth venir à la maison, elle est plutôt du style méfiante vis-à-vis des inconnus.

On se laisse bercer par le son des notes que je joue, j'adore l'expressivité des yeux d'Elizabeth qui évolue au rythme de mes accords. Pourtant, même si le moment est agréable, je sens qu'une discussion houleuse va bientôt voir le jour...

Et s'il ne suffisait que d'une fleur ? - romanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant