Elizabeth - Jour J

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Mon thé est brûlant, mais pas assez pour me faire grimacer. Je finis de le boire, ramasse mon sac à dos et me dirige vers l'extérieur de mon bâtiment. C'est là que je le croise, le garçon qui était à la fenêtre d'hier. Je me demande ce qu'il faisait là hier, à m'observer par la fenêtre. J'ai été dérangée dans ma petite bulle de saveur où je me sens seule au monde. Je ne suis plus seule au monde, il est là, ou alors nous sommes seuls au monde...

Je le vois bifurquer à droite, exactement le même chemin que celui que j'emprunte pour me rendre à l'IUT. Attention, perspicacité, il doit aller au même endroit que moi. Premier jour de cours et je remarque déjà que mon école est composée d'au moins un voyeur. Pourtant, il a l'air gentil, un peu effacé. J'ai pu observer ses yeux hier, les yeux sont les seules choses dont vous ne pouvez pas taire les pensées. Ses yeux à ce mystérieux garçon sont grands, pour certainement mieux voir le monde. Ils ont l'air clairs, bleus, gris, ou verts.

J'entre dans l'école, elle est vide. J'ai toujours adoré être la première dans les grands espaces... Je prends mon emploi du temps pour regarder où est ma salle de classe pour ce matin. J'avance dans l'enceinte de l'école, les murs sont bleu gris, en crépi. Je passe ma main sur le mur pour ressentir les sensations des picots qui caressent la paume de ma main. J'inspire et expire légèrement et grimpe les escaliers en bois qui mènent à ma salle de classe. Je commence par la littérature moderne, un cours si simple mais qui me paraît si intéressant. Je ne suis de retour que depuis un an dans le cursus scolaire. Avant ça, j'étais déscolarisée, j'ai donc anormalement très peur de cette rentrée.

J'arrive devant ma salle de classe, je vais pour m'asseoir par terre quand j'entends la porte de la salle grincer. Je lève la tête et aperçois une dame plutôt petite vêtue d'un chapeau rigolo et de grands habits en laine de toutes les couleurs. Elle me sourit sur le palier de la porte.
- Bonjour mademoiselle, je suis Madame Bovaryo, professeure de littérature moderne et référente principale des 1ères années. Vous êtes ?
- B... Bonjour, je m'appelle Elizabeth Grace, nouvelle élève, en première année.
Elle me fait signe d'entrer. Je passe la porte et découvre une très jolie salle de classe aux murs repeints d'un taupe très agréable pour l'œil. Les murs sont placardés d'affiches publicitaires des quarante dernières années, ainsi que de poèmes et de dessins.

Je m'avance en regardant avec émerveillement les pyramides de livres se formant sur les étagères. La professeure me regarde avec une lueur de joie et de bienveillance dans le fond de son regard.

Étant la première arrivée, je bénéficie de la priorité quant au choix de ma place... pas au milieu des rangées pour ne pas être trop vue par les autres, pas au fond sinon je ne verrai rien aux cours... Je déambule dans les rangées de chaises et de tables dans l'espoir d'y trouver ma place. Finalement, j'opte pour une place au deuxième rang, tout à gauche de la salle, contre le radiateur et la fenêtre. Parfait.

Je sors de mon sac un exemplaire des « Fleurs du mal », recueil de poésie de Charles Baudelaire. Je continue de lire les poésies tout en griffonnant sur un papier des bribes de phrases qui jaillissent de ma tête pour potentiellement en faire quelque chose après.
Je suis prise dans ma lecture, les mots se dessinent dans ma tête créant des tableaux de peinture lyrique, quand je sursaute : le bruit de la chaise voisine grinçant contre le sol m'a effrayée. Je relève la tête et vois la tête de l'énergumène qui m'observait par son rideau. Je ne prends pas le temps de l'observer plus que ça, pourtant j'ai pu percevoir une pointe de douleur au fond de ses yeux.
- Baudelaire... commence-t-il, intéressant, ce ne sont pas mes poèmes préférés mais son écriture est très belle et vachement personnelle !
Il aborde un large sourire qui laisse voir ses dents blanches parfaitement alignées. Je soupire intérieurement, bonjour monsieur parfait. Je ne réponds pas et replonge immédiatement dans ma lecture.
- Je peux m'asseoir ici ou ton féetaud t'attend ?
Je ne comprends pas vraiment pourquoi je devrais attendre une fée, mais d'accord. Il commence à me paraître de plus en plus bizarre, il a l'air troublé, ou dérangé, comme s'il avait dit une bêtise. Il attend une réponse, je suis dubitative, mais peut-être qu'il me laissera tranquille si je l'accepte.
- Oui, tu peux venir.
Il me sourit en remerciement et s'assoit à côté de moi, sortant une trousse délavée, un ancien stylo à encre, et un carnet à la couverture se noyant sous des dessins.

Grave erreur d'avoir cru que cet énergumène était dénué de relations sociales. Depuis qu'il est l'heure correcte pour arriver, il ne cesse de dire bonjour à la plupart des gens qui traversent la classe. Je me recroqueville sur moi-même, angoissée par cet amas de gens qui se regroupent autour de ma table, de notre table, pour parler à mon voisin. Ils sont enfin partis, tous, retournés à leur place.
- Ça va ? C'est le spleen qui t'envahit ? me demande monsieur parfait en souriant.

Et s'il ne suffisait que d'une fleur ? - romanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant