Le mensonge d'une vie

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Le mensonge était un concept plus vague qu'il n'y paraissait. Son usage était paradoxalement aléatoire. Parfois c'était quelque chose de superflu pour s'épargner une tâche ou une question. D'autre fois c'était quelque chose de plus sérieux, dissimuler un problème, un évènement ou tout simplement quelque chose de désagréable. Bien souvent, un mensonge se trouvait être spontané, innocent et inoffensif. Il pouvait être utilisé pour un usage bienveillant comme malveillant mais dans la majorité des cas, il n'était que superflu et rapidement oublié s'il était sans réel conséquence.

Dans le cas de Beth, c'était différent. C'était comme une seconde peau. Un vêtement qu'elle enfilait chaque matin. Un mensonge qu'elle glissait sur son corps avant d'arborer un sourire de circonstance et en user tel un merveilleux bouclier. C'était désormais un mensonge dont elle ne savait plus lorsqu'il commençait ou finissait. C'était une habitude véritable, un masque de faïence élégant qu'elle avait fini par accepter et dont elle ne savait plus se passer. Il était là depuis si longtemps qu'il était maintenant une partie d'elle.

Pendent des années, ce mensonge l'avait protégé. Il lui avait permis de vivre sereinement avec sa petite sœur et sa mère. Jamais elle n'avait eu à s'inquiéter d'une potentielle mise en lumière, elle était simplement restée dans l'ombre en gardant la vérité dissimulée si profondément qu'elle put l'oublier. Et peut-être que cela aurait été si facile mais la réalité tout comme la fiction lui avait bien apprit une chose sur le mensonge.

Même si cela pouvait prendre quelques jours, mois, années ou siècles, tôt ou tard tout était révélé.

Elle en aurait ris si tout n'était pas aussi dramatiquement dangereux. Par le passé, son secret n'avait été mis en danger qu'à trois reprises, lorsque sa famille était arrivée en Angleterre, lorsque sa mère était décédée et lorsque le professeur Fig était venu frapper à sa porte. Depuis, à défaut de voir son propre mensonge exposé, elle avait déterré des vérités dont elle avait toujours ignoré l'existence.

Aujourd'hui pourtant et malgré toutes ses précautions, le masque qu'elle arborait s'était fracturé sévèrement. C'était déjà arrivé qu'elle laisse quelques parcelles de vérité s'échapper mais elle avait toujours su en contrôler le flux, le nuancer pour ensuite mieux le dissimuler. Une vérité détournée, un mensonge par omission ou tout simplement un silence recouvert de sous-entendu. Elle maîtrisait ce jeu de leurre depuis très longtemps maintenant, elle savait quels fils tirer pour détourner l'attention.

Le seul qui avait su percevoir dans certains de ses mensonges était Ominis, jamais il n'avait affiché clairement ses suspicions mais il avait toujours ce petit pincement de lèvre, ce froncement de sourcils ou ce mouvement de tête lui indiquant qu'il n'était pas dupe. Elle avait dû devenir plus prudente en sa présence mais elle n'avait guère à s'inquiéter avec les autres, la nature humaine faisait que les gens cherchaient rarement à creuser au-delà de ce qu'on leur permettait et elle ne le laissait aucune occasion de se poser trop de questions à son sujet.

Mais aujourd'hui c'était différent, au-delà d'une révélation franche, elle avait laissé voir une chose trop dérangeante qui ne pouvait que faire naître de terrible suspicion, par forcément sur son secret mais possiblement sur la naissance de ce dernier et son origine terrible. Un soupir échappa des lèvres de Beth alors qu'elle relevait le nez sur le petit lac fasse à elle. Dans un premier temps, elle avait songé s'enfuir dans la salle sur demande mais elle avait clairement compris que le garçon qui pouvait percevoir la vérité allait l'y attendre alors elle avait décidé d'être plus sage et s'était simplement envolé par la fenêtre, quittant l'école sans que personne le sache pour se poser ici, dans un endroit calme où personne n'oserait se présenter.

Le bruissement du vent apporta un peu de froid, elle perçut le claquement délicat de lourd sabot et sans surprise, elle aperçut une petite horde de l'autre côté du lac, les lucioles donnant un air enchanteur à cette belle apparition. Elle essuya ses yeux rapidement en voyant qu'un des spécimens se détachait du groupe. Sans surprise, il s'agissait de Doran. Elle épousseta son uniforme rapidement alors qu'il arrivait à sa hauteur. Naturellement elle tendit sa main afin de saisir son avant-bras avant de le laisser poser son front sur le sien.

A l'ombre de nos fantômes.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant