𝐅𝐢𝐟𝐭𝐡

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« Miroirs sur miroirs

Sans rien refléter, rien voir.

Sinon mes larmes couleur ivoire. »

Pas d'appel, pas de nouvelles de Yeonjun depuis trois jours. Le téléphone était désespérément immobile et silencieux, et Soobin enrageait. Oui, cet idiot lui manquait, lui et tout ce qu'il représentait à ses yeux. Yeonjun le prince de son conte de fée, même s'il apparaissait le plus souvent en ce moment comme le méchant dragon. Et avec Taehyun qui disparaissait ces derniers jours, la maison était vide. Bien trop vide pour un mec comme lui. Il avait épuisé hier le stock de médocs apporté par son aîné une semaine auparavant, et ça n'allait pas fort depuis. Il n'était pas vraiment malade, mais les petites gélules l'aidaient à tenir le coup. Elles faisaient comme une présence à côté de lui, dans son lit qu'il ne quittait presque jamais, une présence chaleureuse. La présence que Yeonjun aurait dû être...

Il se rendait bien compte qu'il était encore plus addict à ce dernier qu'aux comprimés, mais c'était son seul moyen de continuer à vivre. Sans Yeonjun, il était comme un bateau sans capitaine qui oscillait dangereusement sur les flots. Une coquille vide. Et ce maudit téléphone qui fermait sa gueule ! Il aurait pu se parler à lui-même, pour combler l'absence mais c'était un des premiers signes de la folie, alors... Alors il restait assis sur sa chaise, le menton posé dans la main, à gratter distraitement une tache de peinture rouge sur la table, du bout de l'ongle. On aurait dit une mère-grand sans rides et hanche en plastique, attendant un petit chaperon rouge qui ne viendrait pas. Que de tristesse.

Quand Soobin bougea pour la première fois de la matinée, ce fut pour se trouver de quoi manger. Avec Taehyun en vadrouille je-ne-sais-où, Yeonjun, son beau Yeonjun disparu, Kai meurtrier derrière les barreaux, et... et non, il se refusait de parler de lui. Avec toute sa famille de cœur ailleurs, qui pour faire les courses ?

Il dénicha tout de même un paquet de pâtes, qu'il mit à cuire aussitôt, avant de se rappeler qu'il fallait d'abord mettre de l'eau à chauffer pour ensuite verser les pâtes dans cette même eau bouillante. C'était décidément très compliqué d'exister tout seul. Il retourna s'asseoir sur sa chaise, se balança d'avant en arrière, et arrêta bien vite après avoir failli basculer totalement. Puis une épaisse vapeur montant de la casserole l'effraya et il courut dans la maison à la recherche d'un extincteur, avant de se souvenir que c'était juste le résultat de l'eau au-dessus de cent degrés. Il sortit ses pâtes de l'eau, les versa dans une assiette et partit se poser sur le canapé. D'habitude, quand Taehyun était là, il ne l'allumait jamais. Le châtain détestait entendre les mauvaises nouvelles, mais lui, il voulait savoir ce qui arrivait au monde. La télécommande dans la main et son plat dans l'autre, il scrollait de chaîne en chaîne, se mettant en colère contre l'écran HD dès qu'il grésillait et affichait des lignes de couleurs en vrac. Il finit par s'arrêter sur un reportage au Japon.

Ou ce qu'il en restait.

Avec un pincement au cœur, il écouta la journaliste qui décrivait les horreurs infligées au pays du soleil levant. Une rafale de clichés d'avant-guerre défilèrent devant ses yeux embués. Des enfants au sourire ravageur, une pomme d'amour à la main, des cerisiers en fleur, de larges rues peuplées d'inconnus. Il y était allé quelques fois, pour des concerts, des meetings... Il y était allé, et, si ça se trouve, il avait croisé ces gens. Ceux que la guerre avait détruits.

Deux ans plus tôt, après sa victoire face à l'Ukraine, la Russie n'avait pas perdu son temps ; le Japon connaissait à cette même époque des différends avec l'Europe, ce qui causa sa perte. Pendant qu'il se faisait annihiler, pas un seul pays, excepté la Thaïlande, n'envoya des armes ou des troupes. Alors il se défendit comme il put, mais le combat était inégal. Plusieurs millions de civils et de soldats furent tués, avant que le pays ne soit officiellement gouverné par le dictateur Russe. On racontait même que cette guerre, à l'instar d'autres, plusieurs années auparavant, avait eu droit à son lot de mercenaires, et il se murmurait sous les porches qu'un Ange de la Mort avait décimé à lui seul un bon millier de soldats nippons. Avant de se retirer du champ de bataille et de disparaître, comme ces tueurs-nés savent si bien le faire.

Le monde entier tremblait, à présent. Quelques petits pays d'Asie de l'Est s'étaient hâtés de faire alliance avec le géant russe, avant que leur contrée ne subisse la même chose.

Le Japon était resté dans les mémoires comme celui ''qui n'était pas assez fort pour vaincre''. Et il n'en restait à présent qu'un tas de ruines saupoudrées de tâches de sang, dont on faisait le récit quand il y avait du temps d'écran qui n'était pas consacré aux ravages d'Amérique ou aux coups d'Etat européens.

Le reportage se conclut par le discours habituel, sur la nécessité à l'heure actuelle de ne pas répéter les erreurs du passé, que la fin du Japon était le présage d'une fin du monde tel que nous le connaissions aujourd'hui. Que l'erreur humaine finirait par achever totalement cette espèce.

Une larme se perdit sur la joue de Soobin et s'échoua dans son cou. Sa nourriture avait depuis longtemps refroidi, et l'écran venait de redevenir noir, mais il continuait de le fixer, le visage baigné de larmes, à présent. Il posa avec précaution son assiette sur la table basse surchargée et s'enfonça dans le canapé, les genoux ramenés contre la poitrine, ses cheveux lui tombant devant les yeux. C'était dans ces moments-là que ses médicaments lui manquaient. Là qu'il aurait voulu dormir, dormir très longtemps, pour ne peut-être plus jamais se réveiller. Et cette putain de maison qui restait vide. Jamais plus rien ne serait comme avant. Les gens avaient tendance à se perdre sans repères, et sans nul doute que les garçons pleins de rêves et d'espoirs se perdaient plus facilement que les autres. Plus vite. Plus loin. Lui il avait voulu garder le cap, la musique était une libération pour tellement de personnes... Il avait voulu les aider comme on l'avait aidé durant son enfance. Mais les illusions s'estompent au bout d'un certain temps. De la même façon que le maquillage coule sous le pluie, ils s'étaient ternis, oubliés, abandonnés les uns les autres. Demain, ensemble, comme un mantra, une promesse.

Il n'y aurait pas d'avenir, pas pour eux en tout cas.

Et ils s'étaient doucement laissés aller, loin du centre, bercés par l'onde.

Ils s'étaient lâchés la main.

Et le torrent les avait emportés.

Soobin avait vu tout ça. Du haut de ce poste ridicule qu'on lui avait attribué. Un leader aurait dû être capable de ramener ses compagnons, lui s'était perdu en route, bien avant eux.

Il est facile de se perdre quand on ne voit pas le danger. Quand on ne comprend pas qu'une fois seul, on le reste. Il n'avait pas compris à temps, il en faisait les frais. Personne au monde ne regrettait plus que lui en cet instant. Personne.



La porte grinça à peine quand un garçon blond la franchit, la main serrée sur son portable qui émettait une faible lueur. Il le porta à son oreille et y murmura quelques mots d'un ton enjôleur. Un éclat de rire gracieux y répondit et il fit quelques pas dans la maison.

Lorsqu'il vit Soobin, son sourire fana. Il coupa sa conversation téléphonique et resta debout face au canapé, ne sachant que faire.

Quand le couteau tomba au sol avec un bruit mat, cependant, il n'hésita pas. Il se précipita à son chevet et l'entoura de ses bras. Il composa le numéro d'urgence à tâtons et signala leur position.

Contre son cœur, celui de Soobin perdait en vitesse. Yeonjun enfouit sa tête dans son cou et pressa ses mains autour de la plaie.

Le sang qui coulait sur le sol faisait comme les larmes d'un coquelicot.

||𝗕𝗼𝘂𝗻𝗰𝗲𝗿𝘀||Où les histoires vivent. Découvrez maintenant