𝐓𝐰𝐞𝐧𝐭𝐢𝐞𝐭𝐡

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Un pied devant l'autre. Il fallait toujours avancer. C'est ce qu'on lui avait dit. Marcher tout droit, sans penser aux bombes, sans penser à l'orage, sans penser tout court. Marcher tout droit jusqu'au bord de la vie et s'y jeter, parce qu'il est impossible de revenir en arrière. Un pied devant l'autre, mettre de la distance avec le passé, ce même passé qu'on appellera au secours, qu'on recouvrera du voile du deuil, qu'on chérira mais qu'on ne pourra jamais retrouver. Ce même passé qui fera comme un bout du tunnel si lointain, inatteignable. Un pied devant l'autre, le jour, la nuit, les gens, aussi. Ne pas se retourner, ignorer leurs appels, ne pas se retourner, oublier, oublier, oublier. Ne pas penser aux erreurs. Ne pas penser aux conneries. Ne pas penser à son sourire qui lui ferait toujours tourner la tête. Marcher en oubliant. Marcher en oubliant Cepheus et tout ce qu'elle était. Déconstruire le décor de leur amour, enlever les rideaux, dépeindre le fond, retirer les meubles. Dire aux acteurs de laisser leur rôle plié sur le côté. Fermer à clef. Et puis tout brûler. Laisser son cœur à l'intérieur. Laisser Cepheus, laisser le jour, laisser la joie. Brûler tout ça et puis rejoindre la nuit, la pluie, l'ennui. Tout oublier. En mettant un pied devant l'autre.
Il faisait froid, pour une matinée de février. Ou de mars. Elle ne savait pas, elle avait perdu la notion du temps, la notion des jours, la notion de tout. Elle ressentait juste ce vide, à côté de ses poumons, ce vide que rien ni personne n'avait pû recombler. Ce vide qui mêlé à la froideur nocturne la faisait se sentir nauséeuse. Le vide dans son cœur, c'était l'explication que donnaient les gens dans la rue, ceux qui n'avaient pas tout perdu. Mais ils avaient tort. Son cœur n'était pas vide, il était plein de sang, d'artères, de nerfs. Il était plein de choses essentielles à sa survie, et ils venaient lui raconter des mensonges, pour tenter d'expliquer ce qu'ils ne comprenaient pas. Elle n'avait pas eu le temps. Pas eu le temps d'aimer Cepheus correctement. De l'aimer et d'être aimée en retour. Pas eu le temps de la découvrir, de voir leur amour grandir. On lui avait volé ce temps. Elle n'avait pû que l'aimer à en crever. À en perdre le sommeil. À s'en ouvrir les veines. Cepheus la toute belle qui était morte tellement vite. Et qui avait emporté dans sa chute d'étoile mourante un morceau de l'âme de son aimée.
Oui, un morceau de son âme, pas de son cœur. Ce vil cœur maître de tous les maux battait encore dans sa poitrine, à chaque pas contre le goudron craquelé des trottoirs, elle le sentait. À chaque ombre qu'elle croisait elle l'entendait ricaner. À chaque soupir qui formait un nuage de buée contre son visage elle vibrait avec lui. Son cœur était son malheur. Que n'aurait-elle donné pour mourir ce jour-là ? Que n'aurait-elle donné pour ne jamais rencontrer Cepheus ? Elle n'aurait pas souffert autant. Elle n'aurait pas maudit son temps. Elle ne serait pas là à errer dans des rues glaciales, au milieu du monde mais si loin de son monde à elle. Si loin de ces nuits à regarder le ciel, si loin de ces montagnes comme des murailles. Si loin de cet endroit dont elle n'avait jamais su le nom, mais qui avait cousu ses rêves. Elle était loin, l'enfant. Celle aux yeux noirs si profonds qu'on pouvait s'y noyer. Maintenant, ses yeux étaient juste deux miroirs. Deux miroirs dans lesquels plongeaient d'autres miroirs, ce qui formait cette sensation d'infini si pesante et effrayante. Il était facile de s'y tromper. De penser trouver le mystère la où il n'y avait qu'une fine couche de terre. Et des cendres. Des cendres qui obscurssissaient sa vue, brouillaient son souffle, altéraient son jugement. Des cendres sur l'amoureuse d'une étoile déchue. Elle-même étoile à ses heures perdues. Cruelle vérité.
Encore trois pas sur le verglas. Les murs de béton des maisons grises qui bordaient la rue se fissuraient. Les bégonias aux fenêtres avaient fané trois ans plus tôt. Le cadre tordu, une bicyclette était amarrée à ses semblables, cabossés, rouillées, abandonnées, contre un muret de briques orange ensanglantés. Les gouttières pleuraient une eau sale, qui commençait sa course dans les caniveaux, attrapant les sachets en plastique sur le bord au passage. Tout était sombre, tout était vide. Même l'extérieur de cette péninsule pourrie était sans couleurs. Au-delà des toits gris, des antennes de travers et des fils électriques qui zébraient le ciel, quand on se tenait assez haut, on pouvait voir la mer. La mer polluée par les ponts, coupée par les îles artificielles, ressassante, ternie. Piquée par des milliers de petits bateaux. La mer autrefois inspirante, teintée de mélancolie, qui était devenue la plaie béante du monde. Il n'y avait plus rien. Plus rien pour rêver. Plus assez de mots pour combler le ciel. Plus assez de joie pour créer des étincelles. Plus assez d'espoir pour ouvrir les fenêtres.

||𝗕𝗼𝘂𝗻𝗰𝗲𝗿𝘀||Où les histoires vivent. Découvrez maintenant