📼⋆.˚ ⋆˙ᝰ
𝗣𝗹𝗮𝗰𝗲 𝗮𝘂 𝗰𝗵𝗮𝗼𝘀.
Il y a ceux qui rêvent et espèrent encore.
Ceux qui perdent patience, qui se débattent.
Et ceux qui se noient dans le plus grand des silences.
Le soleil a disparu derrière la folie humaine, les gens fuient pour...
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Leurs existences venaient d’être chamboulées. Leurs vies venaient de se heurter à un panneau « cédez le passage », alors ils attendaient. Ils attendaient en vivant comme si de rien était, le cerveau en feu, à se lancer des petits regards qui ne voulaient rien dire, à éviter les confrontations autant que possible.
Ils étaient rentrés de l’observatoire, avaient été éblouis par le soleil de début d’après-midi. Ils avaient sauté un repas, sans vraiment s’en soucier, l’esprit en ébullition, leurs âmes coincées dans la pièce qu’ils avaient quitté. Si l’horreur pouvait tuer d’un simple regard, ils seraient tous morts depuis longtemps.
À chaque pas qu’ils faisaient dans la maison de Soobin, ils se posaient des questions. Des questions futiles au premier plan, comme pour s’assurer que si quelqu’un lisait dans leurs pensées, il n’y verrait que du feu. Puis les doutes, l’effroi, bien cachés, tout au fond, derrière les souvenirs. Ils n’avaient pas vécu la même chose. Leurs passés étaient différents, mais cousus de fils blancs et rouge.
À l’ombre, dehors, Soobin et Yeonjun se parlaient. Le vitrage brouillait les mots de la conversation, mais l’on pouvait très bien comprendre avec les simples intonations, le son montant, qu’une dispute débutait. Il était amusant de voir, sur le plancher de la terrasse, leurs ombres. Elles semblaient s’épouser, alors qu’en réalité une bonne trentaine de centimètres les espaçait. Leurs contours noirs sur le bois, leurs gestes lents, implacables, leurs yeux menteurs, leurs mots papillons, qui s’enfuient d’une fleur à l’autre pour ne pas s’avouer de vérités trop pesantes. « Enferme ton cœur dans une boîte »
Dans la cuisine, la bouilloire siffla. Taehyun, assis à table, termina sa bière avant de se relever. Il épousseta son jean, replaça les coutures de son T-shirt au niveau de ses épaules, s’essuya les yeux.
Puis s’immobilisa. Il avait pleuré sans s’en rendre compte, perdu dans sa folie, perdu dans son ivresse. Pour oublier. Mais seul Beomgyu aurait mérité l’oubli.
Taehyun se dégoûtait lui-même. Il se sentait coupable, coupable de n’avoir rien vu, coupable de s’être montré égoïste. Il aurait eu mille occasions de se rendre compte, mille occasions d’aider, de soutenir, d’écouter.
Il prit une nouvelle gorgée.
« Laisse-la pourrir au fond d’un trou. »
Le bouilloire pleureuse s’était tue, dans son coin de cuisine, à côté du grille-pain rouge et du micro-ondes en fin de vie. Le sol blanc taché de café crissait sous ses chaussons, alors qu’il avançait d’une démarche oscillante vers le canapé. Kai le prit de vitesse.
Il ferma les yeux, un bras autour des épaules de Beomgyu. Oublier, oublier, oublier. Oublier les images qui ne voulaient plus quitter sa tête, oublier la tempête, oublier la lente agonie des pâquerettes. Oublier la douleur fantôme que l’histoire de son ami avait implanté dans son cerveau. Il voulait oublier. Qui voudrait garder une telle chose dans son esprit ? Qui voudrait d’un monstre comme souvenir ? Le plus vieux des deux embrassa la scène du regard. Deux par ci, un par là, ils étaient décidément bien seuls. Bien peu nombreux et pourtant la maison paraissait si petite. Il aurait pu y étouffer. Déjà, son souffle s’irrégularisait, ses yeux devenaient océans de larmes, sa bouche formait un cri silencieux.
« Enferme la boîte dans une autre boîte. »
Dans sa peine, dans sa souffrance, il eût tout le temps de les observer, de capter chacune de leurs expressions, de les comprendre.
Colère, désespoir, culpabilité, honte. « Mais quand ? Quand et puis où ? Je comprends pas… Pourquoi il nous a rien dit ? Pourquoi hein ? Les secrets nous pourrissent… »
Perdu dans sa crise, il sentit chacune des expressions changer, des masques se créer, d’autres se détruire. Ils étaient mis à nus, sur le vif, rien qu’un court instant mais c’était suffisant. Suffisant pour Beomgyu. Il avait tout son temps. Tout le temps de regarder, comme dans un film, presque en noir et blanc, tout le temps de voir les travers, la connerie humaine.
Colère, désespoir, culpabilité, honte. « Qu’est-ce qu’on va faire ? C’est fini… Qu’est-ce que je vais faire ? Pour aller où ? Faire quoi ? Et si on se perdait… Pourquoi tous ces mystères, pourquoi ne pas les enfouir… les cacher… pour sauver ce qui peut être sauvé… »
Bande d’égoïstes. Allez vous fabriquer un monde, un monde sans vices, sans amour, sans joies, sans pleurs. Créez une nouvelle histoire, où je ne suis pas. Créez une tornade qui m’engloutira. Faîtes moi disparaître, enterrez vos erreurs. Tout ira mieux. Laissez moi prendre la mer en une bouteille vide, sans mot, sans identité. Laissez-moi aller où va le vent, où court la pluie, où s’étreignent les nuages. Faîtes moi disparaître, faîtes moi abysse, faîtes moi éphémère, faîtes moi oiseau aux ailes de travers. Loin de vous, mentez. Menteurs. Faîtes comme si je n’avais jamais été là. Laissez-moi m’envoler et voler vos pleurs.
« Et laisse-les se perdre pour toujours. »
Colère, désespoir, culpabilité, honte. « Comment ça a pu arriver ? C’est bizarre, c’est dangereux. On devrait en parler ou pas ? On devrait se taire… Ce sera pour le mieux… Oublier… »
Une fêlure de plus sur sa coquille. Il les sentait, toutes ces blessures. Qui parsemaient son corps. Marquées ou invisibles. Les douleurs qui résonnaient encore. Toutes ces traces impossibles à retirer, à laver. Se noyer, se brûler, il avait tout essayé. Mais il les voyait toujours. Les autres ne les remarqueraient surement pas. Même ses amis, s’il ne leur avait rien dit, n’auraient pas deviné. Cette sensation dans le ventre, ces tiraillements, ces pincements. L’angoisse, la peur, qui ne l’avaient plus quitté. Ils n’auraient rien vu, rien compris. Logique, la fissure dans sa carapace était invisible. Elle n’existait même pas. Juste un énième souvenir un petit plus dur que les autres. Le fantôme d’une soirée. Ce fantôme là et puis tous les autres.
- Beomgyu… on doit en parler.
L’interpellé leva les yeux vers Soobin. Il avait l’air déçu, honteux, agacé. Ses cheveux avaient été ébouriffés par le vent du dehors, son pull gris ne masquait qu’en partie son cou et l’hématome rouge qui s’y nichait. Ses longs doigts fins s’agitaient, tapotant sa cuisse, remontant défroisser son haut, s’entremêlant entre droite et gauche. Il avait l’air de jouer sur un piano imaginaire, le piano de son existence, faisant des do, des la, au hasard, sans rythme précis, juste pour faire des notes comme des inspirations, et d’autres comme des expirations. Des si et des mi pour respirer et exister.
Beomgyu hésita à demander de quoi ils auraient bien pu parler, mais se retint. Le malaise ambiant, ce silence, tous ces yeux braqués sur lui nouaient sa gorge.
Le froissement métallique d’une cannette dans les mains de Taehyun. Les soupirs répétés, ennuyés, de Yeonjun quand il fixait la nuque de son amant. La chaleur de Kai toute proche, mais qui ne passait pas à travers leurs couches successives de vêtements.
- S’il-te-plaît…
Laissez-moi m’enfuir. Laissez-moi m’enfuir. Pitié, laissez-moi courir. Je n’y arrive plus. Je ne respire plus. Pitié, laissez-moi m’enfuir. Où je ne survivrai pas.