||𝗕𝗼𝘂𝗻𝗰𝗲𝗿𝘀||

𝐓𝐡𝐢𝐫𝐭𝐢𝐞𝐭𝐡

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Certes le ciel était gris de Payne, certes il semblait à tous et à toutes que le monde s'écroulait, certes il était trop tard, certes et puis si, des si en pagaille, de quoi refaire une guerre, et si tout disparaissait, et si on se perdait. Certes, il y avait des si, mais il y avait aussi Kai. Kai qui s'était réveillé. Alors les certes pouvaient bien crier au loup, les si continuer leur fanfare, rien ne toucherait Taehyun. Parce que Kai s'était réveillé, parce que Kai lui avait souri, parce que même si, même s'il avait changé, même s'il n'y croyait plus, il était de nouveau là. Taehyun n'en avait rien à foutre du reste de l'univers, rien à foutre de la fin des temps, rien à foutre de tous ces gens paniqués dans la rue. Puisque Kai était avec lui. Puisque les souvenirs affluaient dans sa tête. Puisqu'il avait toute la soirée pour se remémorer à quel point c'était bien quand ils ne faisaient que chanter entourés de projecteurs. À quel point c'était mieux avant. Mais l'avant était également tellement fade. Maintenant Taehyun se sentait vivant. Tandis qu'il effleurait du bout des doigts les pâles cicatrices sur la peau de son ami. Tandis qu'il contemplait par la baie vitrée le putain de ciel comme un jean délavé après dix ans d'existence. Tandis qu'il rêvait au crépuscule sans crépuscule en bleu et noir où les songes pullulent. C'était toute l'harmonie de ces gestes, de ces pensées, de ces regards, qui faisait qu'il se sentait bien. Pour la première fois depuis qu'il s'était noyé dans la bière. D'ailleurs il n'avait pas bu une seule goutte depuis le réveil de Kai. Trop occupé à contempler son visage endormi. Un ange au repos. Et s'il ne se réveillait plus ? Taehyun n'avait pas le droit d'y penser. Kai était dans ses bras, il voyait sa poitrine se soulever au rythme de ses respirations. Il entendait ses expirations, laissait son souffle se poser contre sa main. À quel point un souffle était-il éphémère ? À quoi point eux-tous étaient-ils éphémères ? Ses pensées s'en allaient. Peut-être ne tarderait il pas à s'endormir, lui aussi. Tout contre Kai, sur le canapé ocre, à penser à la suite. À la mort. À ce qui venait après, ou ce qui ne viendrait pas. On arrête rapidement de croire en Dieu quand on voit l'état du monde actuel. Taehyun se plaisait à penser qu'ils étaient juste minuscules. Minuscules face au temps, minuscules face au vent, minuscules face à l'océan. Et le plus grand était juste le vide. Mitsuba disait qu'il était d'Abysses. Il se demandait à présent si les abysses qu'elle voyait en lui n'étaient pas autre chose. Il lui avait posé la question. Il avait dit «Dis-moi Mitsuba, mes abysses, est-ce qu'elles ne seraient pas simplement le reflet des tiennes ?». Il avait dit ça quand ils étaient assis sur la terrasse en bois clair, pendant qu'elle fumait une cigarette au clair de la lune. Il ne savait même pas si elle avait l'âge de fumer. Peut-être qu'il n'y avait pas vraiment d'âge, peut-être que c'était seulement selon le degré de désespoir. Selon le volume de la petite voix dans la tête. Selon les accords somnambules des cœurs endeuillés. Mitsuba fumait. Elle ne l'avait pas regardé. Elle avait continué de tirer sur sa clope, encore et encore, en crachant la fumée vers le haut. Il était presque sûr qu'elle pleurait. Ou alors c'était lui qui pleurait. Ou bien Cepheus. Ou alors il pleuvait. Elle n'avait pas répondu. Sa cigarette s'était éteinte. Ils étaient restés là comme deux cons, sans piper mot, sans oser se rapprocher, sans oser se consoler. Sans oser s'avouer qu'ils étaient d'abysses tant abyssales qu'en un seul geste ils pourraient tomber. C'était certainement la nuit la plus longue de sa vie. Et puis elle rallumé une cigarette. Et il s'était dit que les braises au bout du papier devaient lui rappeler des choses brillantes, des choses brûlantes.