Chapitre 6 :

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Les jours se ressemblaient. Le matin, on se préparait, on priait, on déjeunait, on étudiait. Puis, on se perdait dans des documents poussiéreux.

Anne désespérait de ne rien trouver. En réalité, elle restait à mes côtés pour ne croiser aucune autre prêtresse. La rumeur s'était répandue, j'avais discuté avec Diane et je l'avais menacé. Je serais jalouse et rancunière. Depuis, la future Grande Prêtresse se promenait dans les couloirs accompagnée d'une dizaine d'autres jeunes filles.

En cours, je n'osais plus répondre aux questions des professeures. Ma nouvelle réputation me collait à la peau. On ne se souvenait plus de moi avant aujourd'hui. Selon elles, je m'étais métamorphosée en une autre personne. Anne seule savait que je n'avais pas changé. Je restais la même fille.

J'avais hérité du même traitement qu'Anne, voire pire. On se moquait du physique de mon amie, et de mon air hautain. Elles me cherchaient un surnom humiliant et avaient déjà tentés quelques noms. « BedonnAnne » n'avait pas disparu.

On endurait en silence. On nous avait fait comprendre que se plaindre ne ferait qu'accentuer notre traitement. Pourtant, quand elle se leva ce jour-là, Anne souriait.

« J'ai eu mon rêve. IL est venu à moi. »

J'étais partagée entre le bonheur immense de savoir qu'elle deviendrait une prêtresse, et un pincement au cœur. Pourtant, je répondis :

« Il faut vite que tu aille le dire à la Mère Supérieure.

—Ne t'en fais pas, Célia, ça t'arrivera. »

Je l'aidais à s'habiller. Elle devait porter un autre voile qui signifiait qu'elle avait été choisie. Ce voile représentait ce que je souhaitais plus que tout au monde. On me le refusait.

« C'était si beau. IL était si grand. Magnifique.

—Que ce qu'IL t'a dit ?

—Que je méritais ma place à ses côtés. Que je serais une prêtresse merveilleuse. Que je suis digne de lui.

—C'est une superbe nouvelle. Je suis ravie pour toi.

—Ne te crispe pas. Souris un peu.

—Excuse-moi, répondis-je. Je suis juste un peu inquiète.

—À quel propos ? Il n'y a aucune raison de se tracasser, reprit-elle en souriant. Le Soleil viendra à toi. Tu réaliseras ton rêve.

—Notre rêve. C'est ensemble qu'on doit devenir prêtresse. Si je reste au Couvent, c'est grâce à toi. Parfois, je ne pense qu'à rentrer au Temple, à ma chambre. Je pense à y rester enfermée. »

Anne m'attrapa la main et y posa un baiser. Elle se tourna vers moi et m'enlaça :

« Tu ne dois pas penser à ça. Pense à ton rêve qui va arriver. Tu es juste un peu en retard, mais ça va aller. Et puis, il faudra bien que tu m'ouvre les Portes, n'est-ce pas ?

—Je t'ouvrirais les portes. Et je t'attendrais à la sortie. Je serais la première personne à venir te parler quand tu L'aurais vu.

—Merci beaucoup, ça compte beaucoup pour moi. Je pensais que je n'étais qu'une grosse bonne à rien, mais grâce à toi, j'ai tenu jusqu'à aujourd'hui. Cette visite prouve que je mérite ma place ici.

—Tu as toujours mérité ta place ici. Je l'ai toujours su. »

On se faufila jusqu'à la Mère Supérieure qui nous sourit. Elle nous souriait rarement. Elle était ravie qu'Anne ait enfin son rêve, comme si, enfin, elle prouvait qu'elle devenait une prêtresse.

J'étais fière de mon amie, malgré les difficultés, elle allait réaliser son rêve. Depuis toute petite, elle avait prit ma mère en exemple et avait voulu servir au plus près le Soleil. À présent, ça devenait possible. Enfin, elle prouverait qu'elle était digne.

Pourtant, BedonnAnne n'avait pas totalement disparu. Depuis que Diane régnait ici, les moqueries à notre encontre se faisaient plus fortes que jamais. Elle ne faisait rien pour les empêcher, mais n'encourageaient rien non plus. Elle se contentait de me regarder avec un regard impénétrable et noble.

« Tiens, BedonnAnne et Célia la jalouse. Mais c'est qu'elle a reçu une visite.

—IL t'a dit qu'IL te rejetterait quand IL te verrait, BedonnAnne ? Je suis sûre qu'IL va vomir en te voyant.

—Je suis digne, et ce voile le prouve, rétorqua-t-elle.

—Célia non. Elle ne sera jamais choisie. Comme cette prof là, qui a jamais été choisie parce qu'elle est laide !

—Ça suffit, Anne a mérité ce voile, comme nous toutes, intervint Diane froidement. Quoi qu'on dise, elle a fait ses preuves.

—Désolée, Diane !

—On doit y aller, j'ai un cours avec Jacqueline. »

Diane m'offrit un autre regard incompréhensible et nous dépassa, les autres filles sur les talons. Heureusement qu'elle était intervenue, je préférais ne pas penser à ce qu'elles auraient pu dire sur moi. Moins je la voyais et la fréquentais, mieux je me portais. Je haïssais qu'elle se promène dans les couloirs comme si tout lui appartenait. Je détestais son arrogance.

« Viens, n'y pense plus. »

Le Couvent était en effervescence. On se préparait à l'ouverture des Portes pour Diane. Derrière deux immenses portes de marbres noires, il y avait la Salle Sacrée. C'est là qu'on rencontrait le Soleil Noir. On ouvrait ces portes par une prière et une magie unique. On nous faisait donc répéter les rituels jusqu'à l'écœurement le plus total.

Quand j'imaginais que seulement deux portes nous séparaient de notre divinité. Qu'IL était là, derrière. Peu de personnes extérieures des prêtresses pouvaient se vanter d'avoir vu ces portes. Elles se cachaient au plus profond du Temple, au travers un labyrinthe de couloirs. Ces couloirs eux-mêmes étaient gardés par des soldats et des pièges qu'on ne voulait absolument pas déclencher. Je connaissais le chemin qui y menait par cœur.

Depuis petite, j'avais toujours été présente pour ouvrir les Portes aux prêtresses choisies par le Soleil. J'avais toujours été impatiente que ce soit enfin mon tour. Aujourd'hui, je me demandais si ce jour allait arriver.

Anne devrait elle aussi franchir ces Portes. Elle disparaîtrait à l'intérieur et verrait le Soleil dans SA pièce. Je serais là et j'entonnerais mes prières pour les lui ouvrir. J'attendrais, j'attendrais qu'elle revienne. Ensuite, nous fêterons ensemble. Nous rirons.

Je tentais de calmer mes pensées tourbillonnantes sur ces sujets et ce jour-là, je feuilletais les vieux parchemins pour un devoir totalement déconcentrée. Anne affichait un air lointain, le regard perdu sur les étagères. Elle marmonna :

« À quoi bon réviser ? J'ai été choisie ... »

Je réprimais un rictus moqueur et tentais d'écrire quelque chose de sensé.

« Mademoiselle Célia ? Votre mère vous convoque, m'informa la bibliothécaire en s'approchant.

—A-t-elle donné les raisons de ma convocation ? »

La vieille femme haussa les épaules et retourna à sa place. Je regardais Anne qui me rendit mon air curieux :

« Bizarre ... ta mère devait te voir ?

—Non, tu sais bien que ces temps-ci elle est obsédée par Diane, et non par sa fille bien-aimée, rétorqué-je maussade.

—Elle a peut-être une bonne nouvelle à t'annoncer, file. Ne la fais pas attendre. »

Le Soleil noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant