Chapitre 9 :

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C'était le grand jour pour Anne. Je me tenais droite près des Portes et de la Mère Supérieure. Souvent, les prêtresses présentes pour l'introduction d'une choisie vers le Soleil étaient ses amies les plus proches. Je ne m'étonnais donc pas de ne trouver personne d'autre pour la Rencontre. Pourtant, l'absence de plein de gens offrit à cette Cérémonie un somptueux goût intimiste qui plût beaucoup à Anne.

Elle rayonnait dans sa robe blanche. Elle rayonnait tellement que je souriais sans cesse. Elle s'approcha de moi et leva la main pour la glisser sous mon épais voile. Elle caressa ma joue. C'était contraire aux convenances, et la Mère Supérieur retint une exclamation outrée. Pourtant, elle laissa Anne faire :

« Célia, j'ai hâte de te revoir, pour qu'on puisse fêter ensemble notre Introduction.

—Je t'attendrais. Je serais là, avec une rose blanche.

—Ça me plairait beaucoup, dit-elle avec les larmes aux yeux. Ça me plairait beaucoup de m'amuser encore avec toi. »

Elle avait une émotion dans la voix que je ne saurais pas reconnaître. Elle me sourit une dernière fois et s'approcha de la petite porte dérobée qui s'était ouverte pour elle. Nul besoin d'ouvrir les Grandes Portes pour une aussi petite prêtresse qu'Anne.

Elle s'approcha de cette obscurité séduisante. Elle m'offrit un dernier regard et entra.

Quand la porte se referma sur elle, je me sentis très seule. Ce n'était pas la première fois que ce sentiment venait me saisir le cœur, néanmoins, j'eus la sensation que cette solitude était amplifiée par le fait qu'Anne quittait désormais le statut de jeune fille pour celui de Prêtresse du Soleil.

Je devais être la dernière jeune fille de mon année à attendre mon Introduction. La Mère supérieure se dirigea vers la sortie :

« Celle-là, je suis bien contente qu'elle soit enfin partie. Plus que toi, dit-elle avec un air presque moqueur. »

Mon tour viendrait bientôt. Le temps qu'Anne revienne et ce serait à moi de franchir cette petite porte qui donnait sur l'obscurité. Alors, je deviendrais moi aussi une prêtresse.

Je pris place au sol, où j'avais installé un drap et où j'attendrais le retour de mon amie.

J'attendis. Une heure passa. Deux heures passèrent. Toute l'après-midi passa. Je ne perdis pas patience. Mais je dus admettre que fixer cette porte durant ce temps me fatigua. Heureusement, j'avais prit un livre qui m'aida à passer le temps.

Il était tard dans la nuit quand je me réveillais en sursaut en entendant un bruit. Je me tournais vers la porte encore close, puis vers l'entrée où une silhouette habillée en noir avait fait son apparition.

Je reconnus Diane qui portait une fleur noire. Je me levais immédiatement. Elle m'ignora et posa la fleur devant la petite porte dérobée. C'était une rose noire. Je fronçais les sourcils en m'approchant :

« Que fais-tu ici ? Sa Majesté vient encore se moquer de mon amie ? »

J'arrêtais en voyant son air sérieux. Elle tourna son regard vers moi :

« Tu l'as attendu toute la journée, n'est-ce pas ? »

Elle attrapa la rose dans ma main. Elle avait commencé à faner. Elle leva la main au dessus de la fleur et lui rendit sa première beauté puis me demanda :

« Veux-tu que je la rende noire ? »

Je ne pus parler pendant un moment. Les fleurs noires étaient synonymes de deuil. Je la fixais sans comprendre, et après un temps infini, elle reprit la parole :

« Sais-tu ce qui arrive aux jeunes filles refusées au Soleil ? »

Elle m'avait déjà posé la question. Je pensais qu'elles perdaient toute raison et plongeaient dans un horrible état catatonique. Elle baissa le regard et les pétales de ma fleur blanche devinrent noirs comme la nuit et la mort :

« T'es-tu demandé, pourquoi quand tu n'as pas fait ton rêve, ta mère a tenté de te faire changer d'avis ? Je ne détestais pas cette fille, je la trouvais courageuse. Elle te défendait quand tu n'étais pas là. J'appréciais sa noblesse d'esprit.

—Elle va revenir, ce n'est qu'une question de temps.

—Tu as guidé de nombreuses filles ici. Tu as vu combien sont sorties ?

—Je ... n'en sais rien.

—Ma sœur est entrée. Je ne l'ai jamais revu depuis son Introduction.

—Et quoi ? Elle serait morte ? À cause du Soleil ? Ne te moque pas de moi, répliqué-je.

—Je ne me moque pas. »

Elle semblait ne pas avoir dormi de la nuit. Elle semblait sérieuse, trop sérieuse. Son air fier avait disparu.

« Elle est morte, affirma-t-elle. »

Elle glissa la rose noire dans ma main et pendant un moment, elle serra ma main dans la sienne :

« Pendant longtemps, j'ai pensé que ma sœur était une incapable. Qu'elle n'avait jamais eu le courage de faire face au Soleil. Qu'elle était faible. Quand j'ai reçu mon rêve, j'ai juré que je ne serais pas comme elle. Je me suis juré de rendre ma famille fière. Ce rêve, c'est le rêve de toutes les pauvres paysannes qui contemplent ta beauté à chaque cérémonie. J'allais le faire.

—Tu allais prouver qu'être une Grande Prêtresse ne tient pas que du sang ?

—IL m'a répondu. J'ai cru que j'allais bien faire. Je serais plus courageuse que toi, plus digne que toi. Mais je me trompais. Il n'y a aucun mérite là-dedans. Ni toi, ni moi ne méritons notre place.

—Je me suis entraînée toute ma vie, je méritais ce statut. Je me suis entraînée à veiller sur ce peuple. Je me suis entraînée à faire ces rituels, à apprendre tous les sorts qu'il m'était possible d'apprendre.

—Peut-être bien. Mais as-tu mérité de perdre ce statut à cause de moi ? Ton amie méritait-elle de perdre la vie comme elle vient de le faire ?

—Tu mens, elle n'est pas morte, répliqué-je avec fureur. »

Comme répondant à ma haine la plus pure, de la magie se forma près de moi. Je sentais les épines de ma rose s'enfoncer profondément dans ma peau. Mais je levais la fleur aux pétales blancs vers Diane :

« Comment peux-tu affirmer qu'elle est morte ? Je l'ai vu, resplendissante ce matin. Personne d'autre ne l'a vu franchir cette porte. Le Soleil l'a accueilli avec le plus grand bonheur.

—Alors, pourquoi pleures-tu comme si tu pleurais un mort ? demanda-t-elle. »

Le Soleil noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant