Chapitre 18 :

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La magie repose contre notre âme, dans tout notre corps et dans les airs. Certains êtres possèdent une faculté innée à la toucher, à la convaincre de se laisser faire lors d'un sort. N'est-ce pas ceci ? Un sort n'est-il pas une demande envers la magie ?

Ce qui est différent entre un humain, et moi, c'est notre rapport à la magie. Les humains doivent attendre la bénédiction d'un être supérieur pour pouvoir entrer en communion avec la magie et lui parler. Cependant, à aucun moment cette magie n'est à eux. La magie du Soleil reste la sienne. À cause de ça, nous sommes complètement dépendants de lui. Nous attendons ses bénédictions avec une impatience sans fin. Nous ne pouvons pas faire en sorte que la magie nous écoute sans qu'il ne soit d'accord.

Dame Justine m'expliqua qu'à cause de ça, ma mère n'avait aucune marge de liberté. Elle ne maîtrisait rien. Elle ne faisait qu'obéir aux ordres du Soleil. IL décidait d'une bénédiction, des cérémonies et la magie qu'il lui offrait était toujours insuffisante pour tout. C'est pour cette raison qu'elle était obligée de le rencontrer si souvent.

« Il aime qu'on le supplie. Il sait que nous n'avons pas d'autres choix. »

Pourtant, l'esprit de la Lune avait une autre manière de fonctionner. Il donnait une certaine quantité de magie à son dévoué qui choisissait quoi en faire. Il signait cependant un pacte avec la personne qui faisait appel à lui. Il refusait que sa magie serve à ôter des vies, ou des buts malveillants. Malheureusement, il considérait un combat contre le Soleil comme un objectif néfaste. C'est pour cette raison que toutes ses années, personne n'avait pu se rebeller contre le Soleil malgré la situation.

« Cette essence fait partie de toi, tout comme le sang fait fonctionner ton corps. C'est pour cette raison que tu dois faire attention. La magie répond à nos demandes, à nos sentiments. »

La magie colle à nos rubans d'émotion. Dame Justine m'attrapa la main après m'avoir fait boire une autre boisson tout aussi infecte que la dernière fois :

« Regarde cela. »

Je vis alors, dans l'air, s'élever des milliers de rubans de couleur magique. Je fus éblouie un moment.

« Ces couleurs représentent les émotions, les sentiments qui traversent chaque personne tout près d'ici. Comme tu le vois, la magie se rapproche de ces émotions. Dans ces cas là, en utilisant les bons mots, les bons gestes et en ressentant ce qu'il faut, tu peux l'utiliser pour un but précis. »

Elle me fit signe de m'accroupir près d'une plante morte. Je la vis approcher les mains de la plante, elle murmura des mots et je vis les rubans briller plus ardemment avant que la magie ne se propage dans ses mains. Puis, la magie passa de ses mains jusqu'à la plante et lui redonna de la force et de la vie.

Avec ma nouvelle vision, je restais un moment hébétée à regarder ce spectacle merveilleux. Je l'avais déjà vu pleins de fois dans toute ma vie, et ce n'est réellement qu'aujourd'hui que je le comprenais dans toute sa complexité.

« Qu'en penses-tu ?

—Je n'avais jamais vu la chose sous cet angle. Mais ...

—Quoi donc ?

—C'est bizarre, j'ai beau le voir, je n'arrive pas à l'appliquer à moi. Je sens ma magie en moi, je la sens qui bouge, qui bout, qui répond à mes sentiments, sans avoir besoin de moi. Elle est plus que passive. Elle est moi. Je suis elle.

—Je te parle de mon expérience, en tant qu'humaine. Tu es une autre créature. Tu fonctionne différemment. C'est à toi-seule d'apprendre comment tu fonctionne.

—Je ne pourrais jamais ...

—Tu as réussi à t'élever seul jusqu'à la lune, tu as été touchée par le Soleil et tu as survécu, tu y arriveras. »

Dame Justine s'approcha de moi et posa une main sur mon épaule. Je vis les rubans de ses émotions venir enlacer les miens et je fus si touchée que je sentis des larmes naître à mes yeux.

Je voyais la magie, les émotions. Ils étaient à la fois en moi et tout autour de moi. La magie reposait sur Dame Justine, sur les fleurs, sur les arbres, contre les rochers. Je voyais chaque fluctuation de magie, chaque mouvement de cette dernière. Elle était en moi et je ressentais la mienne se lier à cet espace si grand et si impressionnant. Elle me renvoyait toutes ces informations, toute cette beauté et je comprenais ce monde, cette forêt.

Je voyais aussi quelque chose de terrible dans cette beauté sans fin. Des chaînes si noires et si impures dans cette forêt ... elles tombaient sur le monde comme les racines épaisses d'un arbre et j'aurais reconnu entre mille l'influence néfaste du Soleil dans cette forêt. Quand je levais la main, je vis ces chaînes enroulées sur moi. Je poussais un hurlement en constant que, pire encore, ces chaînes serraient mon cœur et mon âme dans une étreinte malsaine.

Je voulais m'en débarrasser, le plus vite possible. Je levais mes mains pleines de magie, prêtes à saisir ces chaînes pour les arracher. Je fus stoppée dans mon geste par Dame Justine :

« Reste tranquille, m'ordonna-t-elle.

—Vous étiez au courant, craché-je.

—Oui. Je l'ai vu sur toi dès le premier jour.

—Il faut que je les retire, il faut que je les enlève. J'arrive plus à respirer, faut que je les enlève. Faut que cette magie dégage de mon cœur. Ces chaînes ... J'en veux pas. Faut les enlever, c'est pas possible.

—Célia, tout va bien. Le Soleil t'a touché plus profondément que ce que tu croyais. Mais, plus tu te tracasse, plus les chaînes vont se resserrer sur toi.

—J'en veux pas, j'en veux pas. Je suis sa prisonnière. Faut qu'on enlève tout ça ...

—Pour l'instant, on ne peut pas. Tu n'es pas assez calme pour tenter de le faire. Ces chaînes ne sont qu'une petite représentation du Soleil. IL n'est pas là.

—Je sens encore son toucher sur mon âme. Je ressens encore sa main sur mon épaule, sur mon cœur. IL est encore là.

—Il n'y a que toi, moi, la forêt. Assied-toi.

—Je peux plus bouger. »

Je tremblais et j'étais complètement tétanisée. Je n'arrivais plus à reprendre mon souffle et je sentais mon corps tout entier être figé. J'entendais ma respiration, sifflante et rapide, néanmoins, je ne sentais pas l'air entrer dans mon corps pour me faire respirer. Je vis des points noirs naître sur ma vue.

Je sentis à peine Dame Justine m'attraper pour me forcer à m'asseoir. Je n'entendais plus ses mots. J'étais ailleurs. Je voyais les chaînes noires sur mon corps, partout. Je voyais les épaisses traces noires et ténébreuses qu'elles laissaient sur moi. Ça serrait. Ça me serrait de plus en plus fort.

Les ténèbres, le silence, le désespoir, l'envie de disparaître ...

Il n'y avait rien d'autre que ça ...

Il y avait mon cœur en miette.

Mon âme cassée en morceau.

La lumière du jour avait disparu. L'ombre était sur mon visage et dans mes yeux. Il faisait noir. Le noir masquait la joie, le bonheur.

Je ne m'étais pas rendu compte, au début, de la noirceur du Soleil. À présent que je m'étais un peu éloigné de lui, je constatais qu'il pouvait être la chose la plus noire et obscure que je n'avais jamais rencontré. À Solisneir, il y avait toujours eu un peu d'espoir. L'espoir que je puisse me tromper sur son comportement, que tout ceci ait pu être normal ou banal.

Mais ça ne l'était pas. Nos vies n'avaient jamais eu la moindre importance pour lui. Même moi, qui était sa progéniture, je savais que je ne comptais pas réellement pour lui.il voulait se servir de moi. Ma vie toute entière avait été bercé de plein de mensonge, à commencer par mon origine sans amour.

Ma mère m'avait haï à la naissance. Pire encore, je lui rappelais sans cesse la terrible épreuve qu'elle avait subie. Je n'étais qu'une horrible enfant capricieuse.

Je n'étais rien. J'aurais tout donné pour disparaître. Pour connaître une paix relative ...

Le Soleil noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant