Je poussais un soupir pour me calmer et je suivis ma mère. Elle mena le premier groupe devant les Portes. Les autres filles restèrent devant le bâtiment et maintenaient un bouclier pour protéger les gens extérieurs.
Ma mère prit place à la droite de la porte et toutes les autres filles se positionnèrent à d'autres endroits du hall. Elles se tenaient prêtes à lancer toutes les bénédictions qu'elles pouvaient pour me soutenir.
Maintenant, il fallait ouvrir ces deux immenses portes. Je le verrais derrière. Il plongera son regard d'outre monde dans le mien. Je n'osais regarder rien d'autre que ces portes immenses et intimidantes. Je savais que ces portes cachaient un être monstrueux et inhumain. Une bête incapable de moralité et qui abusait de tout ce qu'il pouvait abuser.
Je regardais les portes s'ouvrirent assez grand pour me laisser passer et je contemplais ces ténèbres noires. Je savais que quelque chose là-dedans me rendait mon regard. Il pénétrait au sein même de mon esprit pour mettre à nu toutes mes émotions. Je pris une profonde inspiration avant de plonger dans le noir.
Pendant un moment, je n'eus pas peur. La peur disparut de mon coeur et de mon âme, je ne pensais qu'à ma victoire, qu'à la libération des miens.
Puis, le Soleil apparut. Grand, puissant, si noir que j'en frissonnais et prêt à m'attaquer. Il leva la main et l'approcha de moi. Je m'immobilisais. Peut-être que pendant un instant, je fus prise de l'espoir fou et insensé qu'il me parle et revienne à la raison. Je pensais naïvement qu'il serait peut-être de nouveau un père, un astre beau, lumineux et bienveillant. Il prendrait ma main dans la sienne, il s'excuserait pour ses actes odieux, il reconnaîtrait sa malveillance passée.
S'il reconnaissait ses crimes, alors, il y avait une chance pour qu'il puisse se faire pardonner. Même si cela était des fautes qui dépassaient l'entendement, s'il avouait ses torts, je pourrais lui pardonner, car, au moins, je comprendrais.
J'attendis et j'espérais. J'attendis que sa main fasse son mouvement. J'attendis que sa bouche s'ouvre. J'attendis un pardon qui ne vint jamais. Je l'ai vu lever la main.
J'ai violemment senti la douleur se répandre dans tout mon corps. Je sentis des larmes monter à mes yeux. Je me relevais péniblement en tentant de contrôler mes jambes toute tremblantes. Je me sentis stupide et idiote. Pourquoi avais-je espérer qu'il s'excuse ? La reconnaissance de ses péchés aurait rendu notre combat moins difficile pour moi. Tuer un criminel, était-ce si compliqué ?
C'est ton père. C'est ton géniteur. C'est celui qui a permit ta vie. Mais, celui qui a offert la graine qui a permit l'éclosion de ma vie méritait-il même ce nom ? Méritait-il de l'être ?
Je deviendrais aussi malfaisante que lui. Je suis identique. Je suis pareille à cette abomination sans nom. On dit que le fruit ne tombe jamais loin de l'arbre, il pousse identique à son parent.
Ma mère m'a toujours avouer qu'elle détestait nos différences. Que nos différences nous éloignait. Parfois, sur le bout de sa langue, se profilait des mots que je devinais aisément :
« Tu es comme ton géniteur. »
Aujourd'hui, ces mots prenaient un sens terrible et sournois. Elle nourrissait la peur que je devienne un être aussi monstrueux.
La colère me rattrapa. J'oubliais la douleur qui résultait de la gifle qu'il m'avait donné et je plongeais les yeux dans les siens. Je devinais ses sentiments et surtout sa haine pour moi. Il me haïssait. Je n'étais pas comme il l'avait espérer. Je comprenais sa colère et pire encore, je comprenais qu'il me trouvait trop ressemblante à ma mère.
Le Soleil comprenait que je ne lui obéirais pas, et que je ne me laisserais pas dévorer. Il ne me consumerait pas comme il avait consumer tant d'autres jeunes femmes avant moi. Je ne le laisserais pas se nourrir d'autres hurlements, d'autres frissons de terreur.
Ma colère prit la forme d'une lance d'énergie bleue devant moi. Je restais concentrée et me préparais à diriger vers mon adversaire.
« In-insolente. In-solente. In-solente. »
Il s'approcha, et hurla longuement. Il était furieux. Il essaya de m'attraper. Je relâchais la lance que je maintenais et la lançais vers son cœur. Il réussit pourtant à attraper mes cheveux et me souleva du sol. Il me porta devant son visage et je compris ses pensées comme si elles étaient les miennes :
« Comment oses-tu, ingrate enfant ? J'ai donné une graine lumineuse pour permettre sa naissance, j'ai fécondé cette chose qui est venue à moi. Je t'ai laissé poussé. Tu n'es même pas digne de ma lumière. Tu es une mauvaise herbe. Tu es une chose écœurante.
—Je suis Célia. Je suis Célia, la Grande. »
Il ricana avec le bruit d'un cloche rouillé et arracha la lance planté dans son cœur. Il souffla au plus près de mon âme :
« Tu n'es rien. Tu ne seras jamais rien sans moi. Je suis Père de toute chose. Je suis celui qui donne la lumière et celui qui permet la vie. Ta vie n'est rien sans moi.
—Alors, ma vie ne sera rien. »
La haine me consuma. Pendant le court instant qui flotte dans l'espace au moment où je brûlais, j'ai perdu le souvenir de ce que je lui ai fais exactement. J'ai le sentiment vague de l'entendre hurler à mes oreilles comme le damné qu'il est. Je me souviens rapidement de son souffle d'agonie tout contre moi.
Je ne veux pas m'en souvenir. Personne ne souhaiterait s'en souvenir. La douleur de savoir l'acte qu'on fait aide les pauvres âmes à se remettre.
Quand ma mère m'a attrapé le bras et m'a demandé le cours des événements, j'ai été incapable de répondre. Pourtant, elle m'a attrapé dans ses bras pour me consoler :
« Cela fait des heures que nous entendons des hurlements terribles, mais tu n'as rien. Par mes ancêtres, tu n'as rien. Oh, Célia ... »
Elle a pleuré. J'ignore pourquoi, mais, j'ai pleuré avec elle. Nous avons toutes pleurés à ce moment-là. Il n'y avait qu'à pleurer de toute façon. Le Mal avait quitté la ville. Les filles étaient vengées. J'ai été vengée. Pour autant, je ressentais un vide immense à l'intérieur de mon coeur. Les mots de cette immonde créature rôdait encore, là-dedans, dans mon âme. Ils rôdaient comme des loups pourchassent sans fatigue une proie. Ils attendent un jour où je serais affaiblie.
Rien que de savoir ce qui court en moi, je frissonne. Mais rien ne vaut le magnifique sourire de ma mère quand elle me regarde, car je sais que nous sommes libres et que je l'ai libéré. Je sais que nous serons toutes les deux désormais. Je pleure, parce que je suis heureuse. Je pleure, car je n'ai plus de chaînes aux poignets, ou aux chevilles. Elles sont à l'intérieur de mon âme maintenant, mais les combattre fera partir d'un quotidien tranquille maintenant.

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Le Soleil noir
FantasiCélia, fille de la Grande Prêtresse de Solaria, est destinée à reprendre le rôle de sa mère à la mort de celle-ci. On la prépare depuis la naissance à ce rôle. Le jour se rapproche de plus en plus, pourtant, dans un pays où le rôle d'un Dieu prévaut...