Chapitre 3 :

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Je tentais de ne plus penser à cette jeune femme. Dès que je fermais les yeux, je voyais encore ses épais cheveux roux, son air hautain et moqueur. J'entendais encore ses mots, à chaque fois, ils s'enfonçaient dans mon cœur sans pitié comme des coups de couteau.

Je me réjouissais cependant de venir au Couvent pour retrouver Anne. On me traitait là-bas comme une princesse, néanmoins, c'est là-bas que je parvenais à retrouver à semblant de normalité. Je portais les mêmes habits que les autres prêtresses et au moins, je n'avais pas besoin de mon armée de servantes habituelles. Ma mère aussi ne venait plus me voir ici, elle se contentait de rester au Temple.

C'est sûrement pour cette raison que je fus étonnée de la voir ici. Je fus horrifiée de la voir entrer dans une pièce avec tout le Conseil en compagnie de la jeune femme qui était intervenu lors de ma cérémonie.

Elle se tourna vers moi et sembla me reconnaître, elle m'offrit un sourire narquois et suivit ma mère. Puis, la porte se referma sur elles. Je me précipitais pour m'agenouiller et coller mon oreille au bois. Je n'entendais rien. Je poussais un soupir : « Elle sera certainement condamnée ... »

Je me détournais du hall d'entrée pour me diriger vers les dortoirs où Anne devait certainement avancer sur son programme. Je partageais sa chambre, quand je venais ici pour plusieurs jours. J'en profitais pour l'aider sur ses devoirs.

« BedonnAnne ! BedonnAnne !»

Je me précipitais dans le couloir pour voir un groupe de jeune fille rassemblé autour de mon amie et elles répétaient ce mot abominable en boucle. Je trouvais Anne prostrée devant elles.

« Que ce qui se passe ? cinglé-je à ces dernières.

—Rien ... rien du tout, rétorqua l'une d'entre elles en s'éloignant. On s'en allait. »

Elles ricanèrent une nouvelle fois entre elles avant de quitter le couloir. Je m'agenouillais face à Anne.

« Tout va bien ?

—Oui, c'est rien, grogna-t-elle en se levant.

—Tu es sûre ? Tu devrais en parler à la mère Supérieure de ce qu'elles te font subir, affirmé-je.

—J'ai déjà essayé Célia. Elle n'a rien fait. Et c'est pire, quand tu n'es pas là.

—J'en parlerais à ma mère.

—Non ! Je dois me débrouiller toute seule. Ce n'est pas parce qu'elles se moquent de mon poids que je dois me cacher dans tes jupes. Je vais me débrouiller. Que ce qu'elles en penseront si je me réfugier derrière toi ? La poule mouillée qui ne peut pas se défendre toute seule. J'apprécie ta compassion, Célia, mais non merci.

—Tu sais très bien que je ne me moque pas de toi, et je ne te prends pas en pitié. Je pensais juste bien faire ..., dis-je en attrapant sa main. Si c'est ce que tu veux, je ne m'en mêlerais plus.

—Je t'en suis reconnaissante. Viens, allons boire un thé, j'ai besoin de me changer les idées. »

Je détestais cette insulte qui suivait Anne depuis quelques années maintenant. J'avais bien tenté d'en parler à la mère supérieure, mais, elle m'avait envoyé valser. Prétendant que je souhaitais me servir de mon influence pour rendre la vie plus douce à mon amie. Dès que je n'étais pas au Couvent, Anne accueillait de nouveau ces insultes et le groupe de filles continuait, puisqu'elles n'étaient pas punies.

Je savais bien que mon amie se laissait influencée par cette insulte plus qu'elle ne souhaitait le dire. J'avais déjà vu qu'elle tentait de perdre du poids, ou qu'elle observait les formes de son corps dans le miroir. Je haïssais qu'elle se sente ainsi, car cette méchanceté gratuite ne devrait pas autant l'affecter ...

Je vivais d'autant plus mal le rejet d'Anne, je ne souhaitais que l'aider à se sentir mieux. Je serrais sa main un peu plus fort dans la mienne et elle m'offrit un sourire.

On s'installa dans sa chambre et elle me servit du thé. Puis, l'air sérieux, elle demanda :

« Cette fille ... hier ?

—Ma mère ne m'en a pas parlé, mais Jacqueline, oui. C'est grave.

—À ce point ? La pauvre, elle avait l'air ... complètement déboussolée. Elle avait l'air de te détester.

—Elle sera ma rivale. S'il est avéré que le Soleil Noir lui a réellement rendu visite ..., je serrais ma tasse entre mes doigts. Je ne serais plus la future Grande Prêtresse de Solisneir.

—Je croyais que tu étais légitime, par le sang.

—Je le pensais aussi. Mais, si c'est le Soleil Noir qui le décide, alors je n'aurais pas mon mot à dire. Ma mère ne me dira rien, elle reste persuadée que je dois la rendre fière et être digne. Cette fois, ce ne sera même pas de mon ressort si je ne réponds pas à ses attentes.

—Tu as réfléchis à un plan ... ? Une solution ? Il y a peut-être un moyen pour convaincre le Soleil Noir. Et peut-être que cette fille ne pense pas à mal.

—Je n'en sais rien. Ma mère est en plein Conseil, sur son sujet. On verra bien ce qu'il en est.

—Ne te tracasse pas pour ça, dit Anne en se rapprochant de moi. On trouvera bien quelque chose. Peut-être que les Archives pourraient nous servir. Est-ce qu'un cas similaire est déjà arrivé ?

—Ma famille sert le Soleil Noir depuis des siècles, prononcé-je fermement. Je ne crois pas qu'il y a un cas antécédent au mien. C'est certainement ce qui tracasse ma mère. Je suis en retard pour ma cérémonie, et la divinité n'a toujours pas fixé une date de rencontre. Qui sait si je l'intéresse ?

—Bien sûr que si ! Si quelqu'un comme moi attire son regard, alors toi aussi. Ce n'est qu'une question de patience.

—Attendre ... attendre et attendre encore ? Ça m'énerve. Je déteste cette sensation. Je préférais mentir encore à une foule bondée qu'attendre une réponse qui ne viendra jamais.

—Célia ...

—Tu as reçu un rêve toi ? demandé-je.

—Pas encore. Mais les signes sont là. Je dois t'admettre que si tu n'as pas ton rêve, ni ton invitation, je n'en voudrais pas non plus ... j'ai persévéré jusqu'ici que parce que tu es là.

—Ne raconte pas de sottises. Tu iras le voir et contempler sa beauté. Je ne t'en empêcherais pas. Je préfère te savoir sous la bénédiction du Soleil qu'en train de souffrir dehors.

—Ça me touche beaucoup, mais fais-moi confiance, on trouvera quelque chose. Et nous serons toutes deux prêtresses. »

J'étais rassurée, comme toujours après une discussion avec Anne. Après ces sujets difficiles, nous abordions des thèmes plus légers : comme ma robe, ou mon apprentissage.

Anne me fit promettre de chercher aux Archives avec elle et le temps de ces discussions, il était l'heure de la Grande Prière.

Le soleil qui éclaire nos journées se couche et baigne le ciel de rouge. C'est à ce moment que chaque prêtresse se rend dans la Salle de Prière. Elle s'agenouille, ferme les yeux et prie. Cette prière, devenue magie, coule ensuite sur notre divinité pour le renforcer et en échange de notre foi, il nous octroie des bénédictions lors de certaines cérémonies. Pour beaucoup de personnes, c'était le plus beau moment de la journée. C'est à cet instant précis que nous étions le plus sensible au toucher tendre et lointain du Soleil.

Ma mère préside toujours cette assemblée et ses prières. Je m'installe à ses côtés et j'apprends comment je devrais le faire pour les années à venir. Mais, aujourd'hui, il y a une autre jeune fille à côté d'elle. Quelqu'un m'a volé ma place. 

Le Soleil noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant