Anne n'était pas sortie de là. Je l'ai attendue longuement. Ma mère m'a convoqué et j'ai dû quitter ma place près des Portes. Je ne voulais pas la voir, je ne voulais voir personne. Je voulais m'asseoir devant les portes.
« Tu n'es pas prête pour ta Cérémonie.
—Je ne veux pas y aller. Pas tant qu'Anne n'est pas revenue. Elle est là-dedans.
—Célia, sois raisonnable. Le Soleil m'a fait comprendre qu'IL veut te voir. IL devient impatient. Tu as passé quelques jours à l'attendre, il faut passer à autre chose maintenant ?
—Passer à autre chose ? Mais que ce que vous racontez ? Anne est toujours à l'intérieur, que ce que vous ne comprenez pas ?
—Tu iras. Ce soir. Si tu ne veux pas, j'emploierais d'autres moyens.
—Que ce que vous dites ? C'est vous qui ne comprenez pas. Je viens de vous dire qu'une autre Prêtresse y est. Anne n'est pas sortie de sa Rencontre.
—Ne sois pas idiote, Célia. Que crois-tu qu'il lui est arrivé ? Tu le sais depuis longtemps, ce qui arrive à ces jeunes femmes.
—Comment pouvez-vous ... ?
—Je n'y peux rien si ton amie ne satisfaisait pas le Soleil. Je ne dirais pas qu'elle a mérité son sort, mais il vaut mieux que ce soit ainsi.
—Et s'il m'arrivait la même chose ?
—Il ne t'arrivera pas la même chose, affirma-t-elle froidement.
—Vous ne ...
—Je le sais, me coupa-t-elle. Je suis sa passerelle, tu te souviens ? Et tu es ma fille. IL ne te tuera pas.
—Je ne veux pas y aller.
—Tu iras. Je t'ouvrirais cette Porte. Si tu refuse de la manière raisonnée, j'emploierais la force. »
Je ne pouvais pas contester. Je ne l'avais jamais vu ainsi. Je serrais les poings.
« Je n'attends plus grand-chose de toi. Mais tu vas y aller, tu vas le rencontrer. Peut-être qu'il se lassera ... j'espère qu'il se lassera. »
Je voulais exploser. Je baissais les yeux.
« Ne t'en fais pas, je fais tout ce que je peux pour te garantir de survivre, comme je l'ai toujours fait. »
Elle s'approcha et m'enlaça. Cela ne m'offrit aucun réconfort, ni aucune chaleur.
« Tu vas survivre. IL ne te fera rien. »
Agnès me prépara pour ma Cérémonie. Elle attacha mon voile derrière ma tête comme elle avait l'habitude de le faire. Aujourd'hui, j'avais l'impression qu'il pesait une tonne. Le soleil se cachait d'épais nuages noirs et je frissonnais sous l'air froid. Deux gardes m'attendaient pour me mener aux Portes.
Ma servante m'aida à mettre deux gants blancs qui dissimulaient mes mains. Et la dentelle de ma robe blanche me donna envie de vomir. Je détestais soudain cette robe, ce tissu et ce que ça impliquait. On me parfuma d'eau de rose.
Puis, je me levais et sortit de ma chambre. Les pierres étaient glacées sous mes pieds et ce froid parvenait à pénétrer mon cœur. Je me sentais frigorifiée. Je connaissais ce chemin par cœur. Il ne m'avait jamais semblé aussi long et tortueux qu'aujourd'hui. Peu de personnes m'attendaient devant ces Portes.
Ma mère était là dans une tenue noble et aussi froide que son visage. Les gardes la saluèrent et j'entrais dans ce vestibule de l'horreur. Je craignais ce que j'allais voir derrière cette Porte. Mon cœur battait à tout rompre.
Ce n'était pas de ça dont j'avais rêvé. Je ne voulais pas de ça. J'avais rêvé des cascades de roses, des statues dansantes, des prêtresses à mes côtés. J'avais rêvé d'un bonheur sans nom. J'avais rêvé de pouvoir marcher la tête droite et haute vers cette pièce. À présent, je tremblais et j'étais incapable de bouger. Pourtant, il fallait bien avancer, il fallait entrer dans cette pièce noire et remplie de ténèbres.
Je redoutais ce que j'allais y trouver, et je craignais n'en jamais en ressortir.
Célia entra dans la pièce plongée dans les ténèbres, les mains jointes en signe de prière. Sa mère hocha la tête et la regarda entrer.
La jeune femme fit un pas et un autre dans cet espace plus noire et sombre que la nuit elle-même. Elle tendit l'oreille, mais le silence régnait. Elle n'osait plus bouger. Elle sentit un souffle sur sa nuque. Elle sentit des frissons naître au creux de son ventre et remonter tout le long de son corps. Elle ressentit quelque chose derrière elle. Une immense chose.
Elle avait peur de se retourner pour la contempler. Elle avait peur. La chose ne sembla pas en prendre compte et une main aussi immense que le corps de Célia se leva pour se diriger vers elle. La créature, qu'elle ne voyait pas, prit l'un de ses bras et attrapa, avec toute la délicatesse que ces affreux doigts pouvaient faire preuve, son gant.
Maintenant qu'elle avait enlevé le premier gant, IL attrapa son autre bras et enleva l'autre. Célia ne parvenait plus à penser. Puis, la créature l'incita à se retourner. La jeune fille devait lever la tête pour voir ce qui lui servait de tête.
Peu à peu, les ombres et les ténèbres s'étaient retirées. Le Soleil était une immense créature humanoïde. Elle était courbée. Sa tête n'était qu'une immense chose ronde aux pics noirs immenses, comme les rayons d'un soleil dans les représentations des enfants. Il n'avait pas d'yeux. Pas de bouche. Pas de nez. Célia haïssait ce faciès. Une étrange sensation creusa son ventre de dégoût et de peur. Pourtant, elle ne parvenait pas à fuir l'emprise du Soleil. Elle tremblait, elle aurait tout donné pour vomir, ou fuir, mais elle était paralysée.
Les mains immondes se levèrent une nouvelle fois et saisirent le fin bord de son voile. IL saisit le morceau de tissu et le releva. Pour la première fois de sa vie, Célia voyait le monde sans son voile, et la créature voyait son visage.
Le temps se figea. Ils ne bougèrent pas d'un poil. IL sembla la dévorer de son regard. Il ne la toucha pas, mais pour Célia c'était comme s'IL était partout sur elle. IL se leva, le plus haut possible et IL leva les mains comme s'il voulait toucher le ciel. Puis, un bruit sourd monta de sa poitrine noire et putride. Le bruit monta et augmenta encore.
À un certain moment, Célia le comprit. Des mots venus d'un autre univers, d'un monde incompréhensible, incertain, ténébreux et inhumain lui parvinrent, et ELLE les comprit.
« Mon Rayon, mon Rayon, mon Rayon, mon Rayon, répétait-il en une horrible litanie sans fin. »
« En-Fin. En-Fin. En-Fin. En-Fin. »
Ce bruit était assourdissant et Célia tomba à genoux, les mains sur les oreilles. Ça transperçait sa tête et son âme en même temps. Elle ferma les yeux, mais sous ses yeux clos courait et courait l'image de ce monstre indescriptible. Ce monstre humain, inhumain, maigre, épais, grand et minuscule à la fois.
Ce Soleil qui répétait sans cesse « Mon Rayon. » et Célia ne voulait pas comprendre ce que cela pouvait vouloir dire. Célia ne voulait pas imaginer ce qu'il disait. Elle se sentait si froide, si transie et un effroyable sentiment l'attrapa au creux du cœur. Elle sentit qu'elle devenait indifférente à tout ce qui l'entourait, comme si son être tout entier ne pouvait pas accepter ce qui lui arrivait. Les émotions semblèrent se dissiper pour laisser place à une plate indifférence. Les larmes de terreur disparurent, mais aucun sourire ne vint les remplacer. La colère ne referait plus son apparition.
Comme si elle n'était qu'une marionnette, Célia sortit de la Salle Sacrée par les Portes grande ouvertes. Elle entendait, au creux de son cœur, cette voix qui susurrait des mots sans sens.
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Le Soleil noir
خيال (فانتازيا)Célia, fille de la Grande Prêtresse de Solaria, est destinée à reprendre le rôle de sa mère à la mort de celle-ci. On la prépare depuis la naissance à ce rôle. Le jour se rapproche de plus en plus, pourtant, dans un pays où le rôle d'un Dieu prévaut...