Chapitre 21 :

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Je devais reprendre le chemin de la cité. Diane et les autres filles m'accompagnaient. Nous étions pressées, Jacqueline n'avait pas été rassurante dans les nouvelles qu'elles nous apportaient. Ma mère ne tiendrait plus très longtemps, ni les autres prêtresses. Les chaînes allaient lâcher, et la bête se libérerait. Il déchaînerait sa colère sur nous, je pouvais sentir son énervement plus j'avançais vers Solisneir.

Pourtant, ça ne me décourageait pas, au contraire. Sentir sa colère apaisait d'une étrange manière mes craintes. Sa haine nourrissait mon envie de vengeance et celle de toutes les autres filles présentes à mes côtés.

Nous étions les filles bénies par l'esprit de la lune. Nous étions en chemin pour reprendre notre liberté bridée, et libérer nos autres sœurs. J'étais à la tête de ce groupe, prête à sauver ma mère, à me sauver et à venger toutes les disparues. Je ne pourrais jamais les faire revivre, mais je pouvais punir leur meurtrier. Je pouvais détruire cet être détestable.

Mes chaînes me paraissaient légères aujourd'hui. Malgré la tornade d'émotions qui régnait dans mon cœur et mon esprit, je parvenais à marcher normalement et à garder une respiration calme. Je voyais les murs lointains de la cité se profiler sur l'horizon. Nous finîmes par sortir des bois et nous nous dirigeâmes vers les portes de la ville.

Les paysans s'arrêtèrent un moment pour nous regarder. Je regardais le haut des murs en tentant d'y apercevoir une silhouette familière. Quand les portes s'ouvrirent, je vis ma mère se précipiter vers nous. Elle m'enlaça et je sentis la vive émotion de bonheur qui envahissait tout son être.

« Tu vas bien. J'ai bien reçu ton message, mais tu es là. Ma petite Célia ...

—Et vous ? Vous allez bien ? »

Je voyais bien son air épuisé et l'épaisse terreur qui hantait ses yeux. Pourtant, elle me sourit et son visage s'éclaira :

« Tant que tu vas bien, je vais bien. Où est Jacqueline ?

—Elle se repose au village.

—Ma fille, es-tu certaine de ce que tu fais ? De ce que tu veux faire ?

—Plus que jamais. Je vais y aller et je vais y arriver.

—Nous pouvons fuir, et ne jamais nous retourner et peut-être ...

—Son influence est sur moi, dans mon cœur, Mère. S'il se libère, qu'importe ... il ... il me retrouvera où que je sois. Son influence me dévorera et il détruira tout sur son passage. Si je n'essaie pas, personne ne pourra l'affronter.

—L'esprit de la Lune ne peut pas le faire, lui ? cracha-t-elle.

—C'est ma mission. Si je ne le fais pas, il continuera. Je ne veux pas que d'autres filles aient peur. Et puis, vous m'avez élevé comme ça. Je suis la Grande Prêtresse de Solisneir. Je ferais tout ce que je peux pour compléter mon rôle, et vous rendre fière ...

—Qu'importe ma fierté, Célia ! cria-t-elle. Ce qui compte, c'est de te savoir en vie. Mais, si c'est vraiment ce que tu souhaite, je te laisserais l'affronter. Je ferais tout ce que tu veux.

—Il faut que je vous sauve aussi de l'influence qu'il a sur vous. Vous ne vous en rendez pas compte, mais vous avez les mêmes chaînes que moi.

—Ne raconte pas n'importe quoi, je suis forte. Il ne m'a jamais réellement ...

—Je respecte votre fierté. Maintenant, nous devons évacuer tous les habitants de Solisneir et les conduire au village des filles de la lune. Ensuite, nous devons rassembler toutes les filles capables de magie et nous lancerons l'assaut. »

Ma mère ouvrit la bouche comme pour protester, mais elle se tût et hocha la tête. Elle commença à aboyer des ordres pour organiser tout ça. Elle se mit sur une estrade pour prononcer le discours qui changerait à tout jamais la vision de tous les habitants de la ville du Soleil.

Ils allaient se rendre compte de sa monstruosité et de notre tentative de vouloir les sauver et se débarrasser de lui. Cela devait être déconcertant. Du jour au lendemain, ils apprenaient que leur bienfaiteur était en réalité un monstre ... la présence des filles de la Lune cependant conforta le discours de ma mère. Elles furent nombreuses à venir témoigner et certaines filles purent profiter de retrouvailles avec leur famille.

On aurait presque pu oublier l'horrible guerre qui se préparait devant la joie de ces gens. J'observais Diane et Jade discuter avec leurs frères et sœurs, ainsi que leurs parents. J'avais toujours considéré Diane comme un obstacle à mon seul objectif dans la vie. Maintenant, elle était une amie très précieuse et j'étais heureuse qu'elle soit ici, avec moi.

Je détournais le regard pour voir le Temple se dresser toujours aussi magnifiquement au sein de la cité. Il touchait le ciel dans une opulence que je n'avais jamais remarqué auparavant. Je voyais l'or de ses statues, l'air arrogant des Prêtresses gravés sur la pierre noir et sombre. Je ne voyais plus l'air majestueux dans le symbole du Soleil. Je voyais une figure monstrueuse et grotesque, et des dents capables de ronger les os de jeunes filles innocentes. Je voyais le symbole d'un monstre qui tente de paraître bienveillant. Un être qui tente d'avoir la confiance de tout un peuple. Mais ...

Je parvenais aussi à voir en ce Temple une prison qui retenait le Soleil de nous dévorer. Cette prison cependant, risquait à tout moment de s'effondrer. Le monstre se déchaînait sans s'épuiser contre les murs de la Salle. Je l'entendais hurler de colère, de rage et de frustration. On l'oubliait peu à peu, on voulait le tuer et il le savait. Il ne voulait pas qu'on tente de se rebeller contre lui.

Il était le Soleil. On courbait l'échine devant lui. On lui servait à manger. On le suppliait pour des richesses et des bénédictions. Il donnait selon son bon vouloir. Il donnait pour qu'on l'aime et qu'on le respecte. Il attendait qu'on s'agenouille devant lui. Il attendait qu'une tendre jeune fille croque sous ses dents. Il voulait toujours plus de pouvoir. Il voulait pouvoir avoir une progéniture obéissante et bien à lui.

Il voulait une enfant qui suive ses ordres. Une fille qui assumait se faire touché par lui. Sa propre fille ... son propre enfant.

Je serrais des dents. Oui, c'est ce qu'il ressentait. À cela, j'y ressentais une certaine détresse. Mais j'avais fait mon choix et il était hors de question que je revienne sur mes mots. Dès que la ville serait évacuée, et que les prêtresses seraient prêtes, je me dirigerais dans la Salle. Près du Soleil.

J'affronterais le monstre, et j'arracherais mes chaînes, ainsi que toutes les autres. Je vaincrais l'épais monstre fait de ténèbres et je ramènerais la lumière sur Solisneir. C'était mon rôle. C'était mon objectif.

C'était pour toutes les victimes, pour Anne, pour ma mère, pour les filles rejetées, pour les dévorées, pour celles qui avaient été touchées. Pour celles qui refusaient de se soumettre. Pour elles toutes, je porterais une épée de magie et je la plongerais dans le cœur du Soleil. 

Le Soleil noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant