Chapitre 2 :

16 5 2
                                    


Ma robe était blanche, épaisse et cascadait derrière moi. Les arabesques de dentelles formaient de beaux motifs de soleil, ou d'autres symboles directement reliés à notre foi. Il fallut plusieurs heures pour me préparer. Aujourd'hui, je portais un épais voile blanc. Il dissimulait mon visage, comme toujours.

On me fit entrer dans une belle calèche tirée par des chevaux blancs et j'arrivais à la grande Place où toute la ville s'était réunie. J'entendais les enfants, leurs mères, les familles et quelques gardes s'égosiller pour ramener un peu d'ordre.

Ma mère sortit en premier et le public l'acclama vivement. Elle me tendit la main et m'accompagna sur l'estrade en bois qui devait nous accueillir. Le public m'accueillit ardemment. Je me plaçais derrière le pupitre et prit tout de même le temps de saluer cette foule agitée de joie. Ma mère avait prit place à ma droite, debout fièrement.

La Grande Prêtresse leva la main et aussitôt, les gens se turent. C'était à moi. Je devais à présent feindre l'exaltation, mentir à eux, mentir à moi-même ... je pris le sceptre que je levais haut au-dessus de ma tête et les mots du discours sortirent de ma bouche de façon monotone, comme quand je l'avais répété.

« Aujourd'hui, nous fêtons l'arrivée du Soleil Noir parmi nous. Nous fêtons sa magie qui tombe tendrement sur nous. Nous fêtons sa bienveillance. Nous lui rendons hommage et aujourd'hui, avec ce sceptre, je pose sur les plantations un sort pour la fertilité. Que les plantes poussent. Mais aussi, pensons au meilleur. À présent, le Soleil Noir pose sur vous son regard. Ne l'oubliez pas, priez-le. Demandez-lui et il vous répondra. Demandez-nous, et nous répondrons ... !

—Ne l'écoutez pas ! »

Une jeune femme interrompit mon discours. Elle se fraya un chemin parmi la foule et grimpa sur l'estrade à mes côtés. Ma mère et moi étions choquées par sa présence.

« Elle va vous dire qu'elle deviendra la Grande Prêtresse ! Qu'elle communique avec le Soleil Noir, mais je sais que c'est faux. Il est venu ME voir ! »

Un garde monta à son tour pour arrêter la jeune femme. Il l'attrapa, mais elle s'égosillait :

« JE vais devenir Grande Prêtresse, je vais diriger cette cité ! IL est venu me voir, en rêve et IL m'a béni. IL ne la choisira pas, mais MOI ! »

Je devais reprendre la parole, mais je restais figée, les mains serrées sur le sceptre, le regard baissé. Le discours n'était pas fini, loin de là. Je ne voulais pas voir le regard choqué du public, ni celui de ma mère. Je ne voulais plus être là.

« Eh bien ? Accorderons-nous de l'importance à cette pauvre fille écervelée ? Peut-être a-t-elle vraiment vu le Soleil Noir, mais ... il n'est pas de la portée de tous de contempler son ampleur, beaucoup deviennent fous. C'est pour cette raison que nous accueillons des jeunes filles en apprentissage, au Couvent. Maintenant, ma successeuse va continuer son discours.

—... oui, prononcé-je faiblement. »

Il me fallut prendre une profonde inspiration avant de continuer. Néanmoins, le public oublia vite cet incident et s'approchèrent de nous quand nous dûmes leur donner des bénédictions à chacun.

J'embrassais le front de bambin, posais une main sur un bandage ou prononçais quelques mots pour rassurer un parent. Cela dura toute la journée.

Pour autant, je ne parvenais pas à oublier cet esclandre. Ma mère m'avait expliqué que pour sa part, à mon âge, elle avait déjà eu une visite du Soleil Noir. Il l'avait béni et suite à cela, elle avait pu tenir sa première Fête du Soleil. Je n'avais reçu ni rêve, ni signe pouvant trahir que notre divinité puisse s'intéresser à moi. Comme les mois avançaient, ma mère avait tout de même prit la décision de me faire participer aujourd'hui ... même si je n'avais rien reçu. C'était inhabituel qu'à cet âge une future Grande Prêtresse ne reçoive aucun signe. Jusque là, je ne m'en étais pas inquiété ...

Pourtant ... aujourd'hui, quelqu'un d'autre prétendait pouvoir prendre la place qui m'était dû de par ma naissance. Était-ce seulement possible, ou probable ? Ma mère affichait un air neutre, signe qu'elle ne parlerait pas de cela en public. Mes lèvres brûlaient de lui poser des questions, de savoir.

J'avais passé toute ma vie à me préparer à ce rôle, et cette jeune fille prétendait qu'elle prendrait ma place légitime ? J'espérais que Mère ait des réponses. Elle m'avait longuement entretenu du fait que je ne sois jamais à la hauteur, de ce qu'elle souhaitait, était-ce pour ces raisons que le Soleil Noir choisissait un autre dirigeant ? Quelqu'un d'autre de plus digne que lui ?

Même si je devais continuer à distribuer des mots et des bénédictions, mon esprit voguait au travers d'un océan d'une noirceur sans nom. Avant aujourd'hui, je doutais même d'avoir connu une si grande crainte. Je souhaitais voir Anne. Que cette dernière, avec son immense sourire, puisse effacer toute trace de peur de mon cœur. Je ne parvenais pas à reprendre contenance. Je tentais bien de me tenir droite, la tête haute :

« Tu ressemble à un petit chiot perdu, cesse cela, m'ordonna ma mère en chuchotant. »

Au contraire, je sentais des larmes se former au coin de mes yeux. Je ne pleurnicherais pas, je ne pleurerais pas.

Heureusement, la plupart des gens s'éloignaient enfin pour profiter du marché. Nous bénîmes encore quelques personnes avant de monter dans la calèche. Sur le chemin pour le Temple, nous saluâmes les gens.

Je pus retirer cette robe immonde qui m'étouffait. Ma mère s'éloigna pour régler d'autres affaires. J'aurais voulu la retenir pour discuter avec elle, visiblement, elle ne comptait pas me parler.

Je fus ravie de croiser Jacqueline qui me fit signe de la suivre :

« Tu as été merveilleuse Célia.

—Vous trouvez ?

—Évidemment, compte tenu de ta situation, tu as été merveilleuse. Le subterfuge sur le sceptre a lui aussi fonctionné parfaitement ! »

Ceux qui sont en contact, de près ou de loin avec le Soleil Noir se retrouvent souvent capables de miracles, de magie qu'ils apprennent ensuite à maîtriser ici. Le sceptre brillant laisse apercevoir le pouvoir de la personne qui le tient. Comme je n'avais pas été en contact avec le Soleil Noir, on avait dû trouver une autre façon de prouver au peuple que je paraissais digne.

« Je continue de trouver cela honteux de mentir à ces gens ...

—Il est certain que ce n'était pas le bon choix. Mais, la situation d'aujourd'hui pourrait nous expliquer pourquoi tu n'as reçu aucune visite de notre Dieu.

—Vous croyez ... que cette jeune fille a été choisie à ma place ?

—C'est possible. Je ne vais pas te mentir, comme ta mère le fera sûrement. Elle te dira de ne pas t'inquiéter, que cela arrivera, mais c'est peut-être faux. Peut-être que tu deviendras une prêtresse comme toutes les autres. Peut-être que tu ne seras jamais bénie par son aura.

—Que devrais-je faire si c'est le cas ? On doit bien pouvoir faire quelque chose ...

—Non, il n'y a rien à faire, dit Jacqueline en posant une main sur mon épaule. On ne contrôle pas ce dieu, on ne peut pas le forcer à faire ce choix.

—Mais ... ma mère compte sur moi. Elle veut que je continue le travail de notre famille. Je suis la future responsable de cette cité. On compte sur moi.

—Non, on ne le fera pas, si on ne te choisit pas. Si le Dieu ne t'aime pas, nous n'aurons pas d'autres choix que d'accepter cette jeune fille.

—Pourquoi ... ? J'ai travaillé toutes ces années pour avoir son amour, je me suis montrée assidue et persévérante. Je n'ai jamais bronché auprès de Mère.

—Ne t'en fais pas, mon enfant. Tout se passera bien. »

Je n'arrivais pas à la croire ... je me sentais bouleversée. Ma destinée toute entière tombait à présent en morceau. Elle tombait en ruine et je ne pouvais rien faire d'autre que la regarder se décrépir. 

Le Soleil noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant