Il est presque dix heures lorsqu'ils pénètrent enfin dans la première rue de la ville. Elle est quasiment déserte. Quelques enfants jouent au ballon, Rébecca leur fait un petit signe de la main avec un sourire, mais elle n'obtient pas de réponse. Plus loin, un groupe d'adolescents avec casquettes et capuches, regardent par en dessous les nouveaux venus, ils ricanent, un sifflement se fait entendre.
Rébecca se rapproche instinctivement de son guide. Son envie de crier sa joie s'éteint devant ses regards moqueurs.
― Est-ce que... est-ce que j'ai quelque chose sur moi ? chuchote-t-elle en se tâtant le visage, pour trouver la raison des moqueries.
― Oh, non, t'inquiète pas, princesse. Ils sont juste un peu intimidés, ils ne voient pas souvent de nouvelle tête. Tout va bien !
Il la mène plus loin dans la rue, mais le pas de la jeune fille se fait de plus en plus incertain. Des maisons aux devantures défraichies, des vitres cassées et des lampadaires tordus, des poubelles renversées et des chiens errants, du béton à perte de vue... Elle ne s'attendait pas à ça...
― Allez, viens, il y a un endroit qu'il faut absolument que tu voies.
Le jeune homme s'arrête devant un bâtiment en aussi mauvais état que les autres, avec une pancarte aux couleurs passées indiquant « Le Canard Boiteux ».
― C'est mignon, un canard, murmure Rébecca, pour se rassurer, caressant nerveusement Calou qui s'est réfugié sans ses bras.
― Mais oui ! On va pouvoir boire un petit coup avant de continuer la visite. Ça va nous rafraichir, après la marche qu'on vient de faire.
Content de son idée, Flavio pousse la porte qui grince fortement et laisse entrer la jeune fille devant lui. Une odeur d'alcool, de tabac et de sueur vient agresser leurs narines, Rébecca se fige au spectacle qui s'offre à ses yeux, un frisson lui parcourt l'échine.
Flavio prend une grande inspiration exagérée :
― Sens-moi cette odeur de joie de vivre, c'est la fête tous les jours ici, on boit, on joue, on s'éclate ! Qu'est-ce que t'en dis ?
Les yeux de Rébecca font lentement le tour de la pièce sombre, en grande partie cachée dans un brouillard dû à la fumée de cigarette. Elle peut voir de nombreuses tables rondes autour desquelles sont installés des personnages tous plus inquiétants les uns que les autres. Des visages à moitié cachés, abimés, des vêtements usés et même déchirés, pour la plupart de couleur sombre, et des regards qui la fixent et lui glacent le sang.
Flavio a réussi à lui faire faire trois pas, mais elle refuse d'aller plus loin. Le félin dans ses bras a les poils tout hérissés, un grondement sourd sort de sa gorge. L'atmosphère est vraiment trop pesante, le silence qui s'est installé depuis leur entrée s'ajoute à son malaise. Flavio se plante alors devant elle, jouant encore la comédie, satisfait de l'effet que son petit numéro a provoqué, persuadé qu'il va revoir sa clé USB plus tôt que prévu :
― Non ? Ça te dit rien ? On peut partir si tu préfères. Et vite rentrer chez toi pour se remettre à l'abri.
Tout en lui parlant, il la prend par les épaules pour l'aider à faire demi-tour, la sentant trembler sous ses doigts. Mais, alors que son sourire satisfait reste figé sur son visage, son cœur se serre à cause d'un sentiment imprévu qu'il n'avait pas ressenti depuis bien longtemps. Un sentiment qu'il s'était promis de ne plus jamais éprouver.
La culpabilité.
Il doit prendre sur lui pour ne pas broyer les épaules de cette fille à cause de sa rage intérieure. Le regard affolé de Rébecca s'est ancré dans son esprit et lui retourne l'estomac. Elle est bouleversée, et c'est totalement par sa faute. Il pensait son cœur devenu dur comme de la pierre, depuis que...
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Une tour et des réponses
Novela JuvenilRébecca a un rêve : aller voir de plus près ces lumières de toutes les couleurs qui éclairent le ciel, tous les ans à la même date, celle de son anniversaire. Mais elle ne peut pas s'y rendre. C'est trop dangereux. Elle sait que son don, unique, h...