Perdue

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Je me réveille avec le soleil du matin. Ici, il n'y a pas de volet aux fenêtres. Le réveil électronique sur la table de chevet indique 6 h du matin. C'est un peu tôt. Puis prise d'une inspiration subite, je fouille ma valise et en ressors une tenue de sport. Rachel a même prévu cette éventualité puisque j'accompagne des sportifs. J'enfile le short, le débardeur de sport et les baskets.

J'ai envie de faire un footing environ 4 fois par an, et il faut que ça tombe maintenant. En même temps, ça doit être l'émulation sportive, avec tous ces rugbymen autour de moi. Je ne suis pas une grande joggeuse. Lina, oui. Elle m'a expliqué que le meilleur moyen de visiter une ville, c'est la course à pied. Chaque année, elle part en famille en voyage à l'autre bout du monde. L'.été dernier, c'était la Corée du Sud, et celui d'avant : La Nouvelle-Zélande. Et tous les matins, avec son père, ils partent courir une demi-heure dans les environs de leur hôtel. Elle dit que ça leur fait une sorte de prévisite touristique.

Au moment de quitter l'auberge de jeunesse, je ne me sens plus très sûre de moi. C'est la première fois que je sors sans supervision à l'étranger. S'il m'arrive quelque chose, personne ne saura où je suis. J'hésite un instant à réveiller Joseph. Mais en même temps, pour une fois que je peux avoir un peu d'intimité.

Je souffle un bon coup et sors de l'auberge de jeunesse.

La petite brise matinale me fait frissonner. Le soleil est trompeur, et il fait encore frais en ce début de journée. Je regarde autour de moi, prends mes marques et commence à courir à petite foulée. Je me sens super fière. La ville est encore assoupie, et moi, je suis déjà en action !

Hier, j'ai remarqué un petit parc quand on est rentré du Stade en bus. Je n'ai pas un super sens de l'orientation, mais je le retrouve sans difficulté. Ça me met en confiance. En plus, je n'ai plus froid, je suis juste bien. Ma foulée est ample, mon souffle régulier, je gère.

Je décide de continuer un peu après le parc, et soudain je la vois : c'est la Tamise. Joseph nous l'a montré hier. Je décide de descendre le long des berges. La voir c'est comme atterrir directement dans une histoire de mon enfance : Oliver Twist.

Dans l'eau sombre se reflètent les bâtiments alentour. L'eau glisse lentement, quelques brindilles flottant à sa surface. J'ai l'impression d'être hors du temps. Je m'arrête de courir pour regarder autour de moi. J'aime cet endroit. Je m'y sens profondément bien, connectée à un tout qui me dépasse. Une légère brise joue avec mes cheveux. Je ferme les yeux et respire profondément pendant quelques secondes.

Quand je les ouvre, le soleil a l'air plus haut dans le ciel déjà, et on sent un début d'agitation dans la ville qui n'était pas là quand je suis partie. Il est temps de rentrer.

Je reviens sur mes pas au petit trop. Mes foulées qui étaient dynamiques à l'aller, ont perdu de leur amplitude. Mon enthousiasme aussi a baissé. Je commence même à sentir un point de côté.

Arrivée au bout de la rue, j'ai un instant d'incertitude. Je suis arrivée par la droite ou par la gauche. La gauche, c'était probablement la gauche. Je continue ma course de plus en plus lentement. Le doute s'insinue en moi. De plus, en plus... Encore plus... Oh, mon Dieu, je suis PERDUE !

Autour de moi, je ne reconnais rien. Je ne suis clairement jamais passé à côté des bureaux de Loyds Bank ni de ce salon de coiffure hypster.

J'ai brusquement envie de pleurer. La situation ne pourrait pas être pire. Je suis dans un pays étranger dont je maitrise moyennement la langue et je n'ai pas la moindre idée de comment rejoindre mon auberge de jeunesse.

Cette fois-ci, j'arrête de courir complètement. Je marche dans un sens, puis dans l'autre. J'ai probablement dû me tromper à l'avant-dernière intersection, quand j'ai choisi de tourner à gauche plutôt qu'à droite. Mais je n'ai plus aucune idée de comment la retrouver.

Désemparée, je m'assois sur le rebord du trottoir. Il n'y a personne autour de moi à qui je pourrais demander mon chemin.

Soudain, au loin, j'aperçois un joggeur. Je me relève et m'approche timidement. Entre joggeurs, on peut bien s'entraider non ? Il connaît peut-être la l'auberge de jeunesse YHA London Thameside ?

Je m'approche encore et je crois rêver. Cette silhouette, je la reconnaitrais entre toutes.

– Sean ! Seaaaan !

Je crie de toutes mes forces. Il se retourne.

– Lou-Ella ?

À petite foulée, il vient vers moi.

– Qu'est-ce que tu fais là ?

C'est trop humiliant lui dire que je me suis perdue. J'abrège.

– Un jogging, comme toi.

– Je savais pas que tu courrais. On dirait que tu as pleuré, ça va.

Je m'essuie les deux yeux pour effacer toutes traces de larmes.

– Non c'est rien.

 Mais Sean ne lâche pas l'affaire.

– Tu es sûre que ça va ?

Je baisse la tête.

– OK, il se pourrait que j'aie du mal à retourner d'où je viens.

Je regarde ailleurs. Je ne veux pas voir le sourire moqueur qui doit maintenant s'étaler sur ses lèvres.

Mais je suis soulagée, quand je l'entends simplement dire :

– Allez viens. Je te ramène.

En deux minutes à peine, j'aperçois l'entrée du YHA London Thameside. J'étais vraiment pas loin, en fait !

Sean s'apprête a repartir.

– Bon, j'y vais ! J'ai toujours besoin de faire un petit footing avant les matchs, ça me fait baisser le stress.

Il s'éloigne en joggant à pas régulier. Je le regarde partir. Il fait quelques foulées, puis se retourne et revient vers moi.

– Tu as oublié quelque...

Je n'ai pas le temps de finir ma phrase, qu'il se penche et m'embrasse. Et c'est là que je sais que je ne suis plus perdue. Je suis exactement au bon endroit.


version alpha : Rejouer la scène du baiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant