Six semaines

19 6 0
                                    

Six semaines c'est long. Mais c'est aussi très court. Chaque jour passe plus vite que le précédent. C'en est presque effrayant. Très rapidement les 6 semaines se transforment en 5 puis en 4, et bientôt, l'échéance se compte en jour.

Puis tout d'un coup, c'est déjà le temps des dernières fois. Dernier lundi, dernier cours d'anglais, dernier repas à la cantine.

D'habitude, les dernières fois sont toujours un peu tristes, mais en même temps remplies d'excitation. Les vacances arrivent, dans les classes, on regarde des films, on joue aux cartes, ou on joue tout court. Plus de devoirs, plus de notes, plus de bulletin. Tout le désagréable de l'école est derrière nous. Il ne reste que le côté fun.

C'est aussi le moment des bêtises. En seconde, avec Lina on avait décidé de sécher le dernier cours de maths qui était aussi le dernier de l'année (sécher un cours, c'était une grande première pour nous). On s'était un peu décidée à la dernière minute, résultat les grilles du lycée étaient déjà fermées quand on a voulu sortir. Pour s'occuper, on est donc allé marcher dans les couloirs. Sauf qu'on avait entendu des pas. Comme on n'avait rien à faire là, on s'est caché dans une salle vide. Mais la situation s'était corsée. Les pas se rapprochaient de nous, et à intervalle régulier on entendait CLIC–CLAC–CLIC–CLAC. Ils étaient en train de verrouiller les salles inutilisées avant les vacances ! Saisies de panique, Lina et moi, on avait bondi hors de la salle sous le regard ébahi du surveillant et on était parti en courant se cacher dans des buissons de la cour de récré. On avait donc quitté notre lycée à la même heure que le reste de la classe. Mais avec des feuilles dans les cheveux et des traces de terre au niveau des genoux. Oui, notre dernière heure de cours en seconde était restée mémorable.

Mais cette année, rien de grandiose. Chaque dernier cours, on s'entraine avec des exercices type bac.

Quand je quitte le lycée à la fin du tout dernier cours, je me sens un peu triste, un peu vide. Mais je sais que j'y retourne bientôt. Pour la grande finale !

Et c'est dans une sorte d'état second que je passe les jours qui précèdent les épreuves. Généralement en milieu d'après-midi Lina me rejoint pour réviser.

On étale consciencieusement nos fiches de révision sur le tapis du salon. À tour de rôle, on se fait réciter nos cours de philo. Puis, on enchaine avec des exercices de maths qu'on réussit plus ou moins bien selon notre niveau de stress.

– O.K! Laisse-tomber les trucs sur la conscience et l'inconscience ! C'est tombé l'année dernière !

– Tant mieux Freud des fois j'ai envie de le baffer avec ses théories à la con, commente Lina allongée sur le tapis, la tête appuyée sur son poing.

Elle se met à bâiller la bouche grande ouverte :

– J'ai hââââte que ça finisse ! Et j'ai hâte de dormir sans mauvaise conscience ! Depuis que je suis en période de révision, je m'endors comme une bûche et je fais des nuits de 10 heures, facile ! C'est ouf !

– Ah ouais, moi, je dors normal, mais le matin, je me réveille pleine de courbature. On dirait que j'ai couru un marathon tellement je suis crispée. Bon, j'ai faim, une pause-gouter ça te dit ?

– Toujours !

Je vais à la cuisine chercher des biscuits.

Sur la table une pile de courrier. J'y jette un coup d'œil rapide. Et mon cœur rate un ou deux battements. Parmi les factures et les relevés bancaires, une lettre m'est adressée. Le timbre apposé dessus ne fait aucun doute. La lettre arrive tout droit d'Angleterre.

Prestement, je la prends comme si quelqu'un pouvait me la voler. J'ai envie de l'ouvrir. Terriblement. Mais ça peut aussi être une mauvaise idée. À deux jours du bac, ce n'est peut-être pas le moment de tout chambouler dans ma vie. Qu'elle soit positive ou négative, je serai affectée.

Je me fais violence et laisse ma curiosité naturelle de côté. Dans ma chambre sous une pile de livres que je ne lis plus depuis que je suis en mode révision, j'y glisse la lettre.

Quand je reviens dans le salon, évidemment, j'ai oublié les biscuits.

– Qu'est-ce qui t'arrive ? me demande Lina. On dirait que t'as vu un fantôme.

C'est presque ça. Mon « corres' » anglais » à tout d'un fantôme.

La lettre tourne dans mon esprit. Je revois l'écriture appliquée dessus. Je me demande si c'est bien celle de mon père. Et qu'est-ce qu'il me dit ? Que peut-on répondre au message que je lui ai envoyé ? Me répond-il en français ou anglais ?

Je retourne à la cuisine prendre un paquet de gauffrette et la pose entre Lina et moi.

En croquant machinalement dans le biscuit, je recommence mes exercices.

Au bout de quelques minutes, on s'arrête pour comparer nos réponses avec Lina.

Mon amie jette un coup d'œil sur ma feuille :

– Mais t'es à la ramasse Louelle !

Je regarde mon travail. Effectivement, j'ai écrit n'importe quoi.

Même fermée, la lettre me perturbe. Il faut que je me reconcentre. J'ai bien l'intention de ne passer le bac qu'une fois. Cette lettre j'ai toutes les vacances pour l'ouvrir. Et même plus.

Ma mère passe la tête par la porte du salon.

– Une limonade, les filles ?

– Merci, Hélène, trop gentil !

– Merci, maman.

Puis avec Lina, on se replonge dans nos révisions.

Depuis quelques jours, Joseph aussi se fait tout petit avec ses caméras pour ne pas nous déranger. Mais à vrai dire, je les remarque à peine.

Je travaille tellement que je n'ai même pas l'impression de stresser. Jusqu'à la veille de la première épreuve.

version alpha : Rejouer la scène du baiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant