Chapitre 30

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Pour Noël, un grand soleil avait fait son apparition, bien loin des clichés sous la neige. Mes parents avaient posé quelques jours de congés pour pouvoir passer ce moment avec moi. En guise de cadeau, nous avions prévu de partir toute une semaine à Courchevel et par la même occasion passer le nouvel an là-bas. Ce cadeau ne pouvait pas plus me ravir. C'était un rituel familial lorsque j'étais petite, puis au fil des années, ce rituel a fini par disparaître. Cela ne pourrait que me rapprocher d'eux. Le seul bémol était qu'un couple d'amis à mes parents nous rejoindraient pour les derniers jours. Mais je suppose que c'était mieux que rien, et que je devais m'en contenter.

Ils avaient même pensé à me prendre une nouvelle combinaison de ski car la précédente ne m'allait plus du tout. J'avais également le casque assorti. C'était presque le cadeau parfait.

Le chalet qu'ils avaient loué pour la semaine était digne d'un film : cheminée, du bois partout et des têtes d'animaux empaillées trônant sur les murs. Il y avait même un jacuzzi. Je savais que la réservation, plus luxueuse que les autres années, était uniquement pour impressionner nos amis, qui eux avaient bien plus d'argent. Le mari, Charles, travaillait aux côtés de mon père et était en quelque sorte son bras droit. Mary, sa femme, était mannequin et gagnait plus que bien sa vie. Et leur fils, Justin, suivrait probablement le même chemin que son père.

Je réalisais que la dernière fois que je l'ai vu, on devait avoir 9-10 ans. Il avait probablement dû bien changer. J'espère que son père n'avait pas trop déteint sur lui. Celui-ci était un homme dur et très têtu. Je n'avais pas une très bonne image de lui, mais cette image datait d'il y a huit ans, il avait lui aussi probablement évolué, en bien ou en mal.

Pour le premier jour au ski, je ne m'aventurais que sur des pistes vertes ou bleues, afin de récupérer les bases. Ma mère fit de même, et après quelques gamelles, je savais contrôler ma vitesse. Mon père, lui, fonçait directement sur des rouges, profitant pleinement des sensations. Le midi, nous nous sommes retrouvés au restaurant pour faire le plein d'énergie, et manger une traditionnelle raclette.

Les jours qui suivirent, nous restèrent en famille, à faire des pistes pas trop difficiles, mais tous ensemble. Si vous pouviez imaginer comment j'étais heureuse de ce moment. Sincèrement, il n'y avait pas plus beau cadeau que celui-ci.

Puis, il y eut leur arrivée, et ça changea radicalement la donne. Nous étions le 30 décembre, en fin de journée. Je sortais de la douche quand je tombais nez à nez avec Justin. Je le regardais de haut en bas, surprise de voir à quel point il avait changé. Était-ce vraiment lui ?

- Justin ? Est tout ce que je trouvais à dire.

- En chair et en os, miss.  

Il portait une chemise qui semblait lui aller trop petit au niveau des épaules, probablement grâce à la musculation. Il avait toujours ses cheveux noir de jais coiffés dans tous les sens, et le teint un peu moins pâle qu'avant. Il me tira de ma réflexion en s'avançant pour me faire la bise.

- Jolie tenue, au passage, souffla-t-il au creux de mon oreille.

Je jetais un rapide coup d'oeil à ma tenue, qui n'était d'autre que ma robe de chambre en satin. Je lui lançais un regard noir, auquel il répliqua un sourire, et je retournais m'enfermer dans la salle de bain. Je ne pouvais pas me présenter avec une telle tenue devant Mary et Charles. 

Une fois changée, je me dirigeais dans la salle à manger. Sur la table trônaient des tas d'amuse-bouche que ma mère avait commandés chez le traiteur, spécialement pour l'arrivée de nos convives. Malheureusement, ma mère n'est pas la plus talentueuse des cuisinières, car elle ne cuisine que très rarement, faute de temps je suppose. Ils se font la plupart du temps des restaurants ou commandent au room-service lors de leur déplacement. Quand ils rentrent, c'est mon père le marmiton, qui est bien heureux de retrouver le confort de sa cuisine ainsi que tous ces équipements. Petite je prenais plaisir à le regarder faire ces sauces si particulières.

Lors du repas, les banalités étaient de mise : nos projets pour l'année prochaine, les amis, les notes, puis forcément le business.

- Mais enfin Charles, tu vois bien que la stratégie marketing de la collection dernière n'était absolument pas adapté.

- De toute façon, rétorqua Charles en finissant son verre, le responsable marketing a été remplacé. Lancer une collection aux couleurs pastel en hiver a été un de nos pires choix.

Les mamans acquiescèrent et le débat s'engagea sur cette voie. Je tentais de m'éclipser de la pièce avant que la discussion ne s'envenime. Presque à chaque fois, le ton commence à monter, car mon père ne prend pas en considération les propositions de Charles, souvent judicieuses. Malgré leur amitié, une espèce de rivalité s'est formée entre les deux hommes au fil des années, qui ne cesse de grandir. Je simulais aller dans la cuisine remplir la carafe d'eau, mais personne ne semblait faire attention à ce que je disais.

Je me rendis finalement dans le salon, près de la cheminée afin de me réchauffer. Quelques minutes après, des pas se firent entendre derrière mon dos. Ces dits pas s'arrêtèrent, et je me retournais, intriguée. Justin était sur le pas de la porte, à me fixer.

- T'es bien silencieuse, me dit-il simplement.

- J'étais juste dans mes pensées.

Il me rejoignit et s'assit sur le canapé face à moi.

- Ce genre de repas ne m'avait pas manqué. Petite, je ne m'en rendais pas tellement compte, mais c'est si oppressant. Enfin bon, tu comprends ce que je veux dire...

- Je ne suis pas un partisan né, mais moi j'aime plutôt bien les débats qu'ils mènent, c'est hyper intéressant.

Sans trop comprendre pourquoi, j'avais l'impression de me prendre une claque dans la figure. Il avait grandi dans le même milieu que moi. Depuis petit il baignait dedans. C'est bête à dire car cela fait des années que nous ne nous étions pas parlé, mais je pensais qu'il comprendrait. Lui mieux que personne.

- Tu penses vraiment ce que tu dis ? M'exclamais-je en lui lançant un regard dur.

- Marine, tu ne réalises pas ce que nos pères ont fait pour en arriver là. Ce sont de grands hommes et...

- Tu oublies comment ton père te traitait petit ? Le nombre de fois où tu pleurais dans ma chambre parce que ton père n'était pas venu te voir à ton match de tennis. Et huit ans plus tard, tu me dis que tu l'admires ?

J'étais hors de moi, mes mains tremblaient sous le coup de l'émotion. Il me fixa, pendant cinq secondes, puis s'esclaffa de rire. J'étais complètement sous le choc de la personne qui se trouvait devant moi.

- Marine... Marine. Les gens changent en huit ans, tu sais. Je compte bien faire partie de l'histoire, être un grand homme. Tu penses devenir quelqu'un avec tes projets dans la chimie ?

Je m'avançais vers lui, et baissais d'un ton.

- Je préfère n'être personne qu'être un pauvre con.

Sur ces mots, je retournais à table, ou le dessert était servi. Pendant la suite du repas, son père glorifia Justin en mettant en avant le fait qu'il ait fini deuxième du championnat de tennis, et qu'il était pris dans une école d'ingénieur très réputé. Mais je ne prêtais pas attention aux légers pics que son géniteur lui lançait discrètement en sous-entendant qu'il aurait pu faire mieux. Rien à fiche, qu'il grandisse dans ce milieu qu'il aime tant.

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