Le poids du passé

Chapitre 3

Kara

Je règle ma course et sors du taxi qui m'a conduite dans l'un des quartiers animés de la ville. J'inspire l'air marin à pleins poumons avant de tourner la tête vers l'océan qui semble m'appeler. Pour quelqu'un qui, comme moi, a grandi à la campagne, être ici est comme un rêve. J'observe pendant de longues secondes le flux et le reflux des vagues, hésitant à m'approcher pour faire quelques pas dans le sable. Mais je me ravise en constatant l'heure : j'ai déjà dix minutes de retard. Ce qui pour moi n'est pas vraiment une surprise. Ce qui l'est, c'est que pour une fois, je ne suis pas responsable. L'agent immobilier qui m'a fait visiter l'appartement s'est montré particulièrement bavard, me vantant de long en large toutes ses qualités. C'était pourtant inutile tant j'avais été immédiatement charmée par les lieux. Du parquet de chêne clair au sol en passant par la grande baie vitrée et surtout, une grande surface sans cloisons hormis pour la salle de bain. Bref, une page blanche que je pourrais décorer à ma guise, c'était tout ce que je souhaitais. Et en plus, il se situe à moins de quinze minutes à pied de l'école. Le loyer est élevé, mais avec le salaire que me versera l'école et mes économies, je pourrais me le permettre. S'occuper des enfants de l'élite de la ville, ça paye bien.

Je m'arrache à ma contemplation pour découvrir le lieu de rendez-vous choisi par ma sœur et laisse échapper un petit rire en découvrant son nom : Alien's Bar. D'après Alex, on y sert les meilleurs cocktails de la ville. Et elle parle en connaissance de cause, elle affirme les avoir tous testés. Ça fait maintenant trois ans qu'elle vit ici. Après l'école de police, Maggie et elle n'avaient pas mis longtemps avant de trouver un endroit où s'installer. Elles voulaient travailler dans une grande ville et si possible, au bord de la mer. National City cochait toutes les cases. 

Quand elle était venue me parler de son projet à l'époque, j'avais plutôt mal réagi. Il ne s'était écoulé que quelques mois depuis les "évenements" et je ne me sentais pas prête à me séparer d'elle. Oui, c'était purement égoïste de ma part, mais à ce moment-là, j'étais totalement détruite. Alex avait été compréhensive, expliquant, argumentant et petit à petit, j'avais fini par céder. Et je ne l'avais pas regretté un seul instant depuis. Elle s'était montrée tout aussi présente malgré la distance, si ce n'était plus. 

Aussi quand elle m'a envoyé l'annonce qu'elle avait trouvé dans le journal pour un poste dans sa ville, je n'ai pas hésité longtemps. Même si quitter Midvale, mes parents et mon petit appartement avait été difficile, j'avais le sentiment que c'était la bonne décision. Et après ma visite de l'école et celle de l'appartement, cette décision semble se confirmer.

Je lance un dernier regard vers l'océan avant de pénétrer à l'intérieur du bar. La fraîcheur du lieu me fait pousser un soupir d'aise. La fin de ce mois d'août est particulièrement chaude et même l'air marin ne parvient pas à compenser cela. L'endroit est des plus classiques : des tables et des chaises en formica bien alignées, des affiches de vieux films aux murs et un long comptoir en zinc derrière lequel un barman fait le show devant l'unique cliente de l'endroit, ma sœur.

 Le pauvre, s'il essaie de l'impressionner pour finir la nuit avec elle, il va être déçu quand Maggie arrivera. Mais bon, c'est son problème. Je m'avance et saisis la boisson d'Alex dont je prends une gorgée. 

– Te gêne pas surtout ! râle-t-elle.

– Merci de ton accord. Il est vraiment bon ! me réjouis-je en reposant le verre. C'est quoi ?

– Un blue lagoon. S'il est si bon, c'est parce que le patron cultive ses propres citrons dans l'arrière-cour. Enfin, c'est ce qu'il raconte.

Je m'assieds sur le tabouret à côté d'elle et fais signe au serveur