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Ce fut une sensation étrange au creux de son estomac. Suivre Malefoy avait comme débloqué quelque chose en lui, quelque chose à qui il refusait de réfléchir tandis qu'il tentait de justifier sa haine de celui que l'on considérait comme son ennemi.

Mais voir sa douleur. Son mal-être le plus profond, le mieux dissimulé. Voir sa haine, de lui-même, de ce qu'il était, voir ce qu'il n'aurait jamais du voir fut plus étrange qu'il ne s'y était attendu.

Quelqu'un, là, dehors, parmi ceux qui se disaient être les amis de Malefoy, se doutait-il de cette part de lui ? Cette part pleine de souffrance, de remords, de fragilité tangible ?

Drago lui, se doutait-il que sa Nemesis, qui se tenait invisible à l'espionner, souffrait des mêmes vices ? Loin de s'entailler pour faire sortir les émotions à grands cris, lui préférait les faire taire en les noyant à grands verres de Whisky Pur Feu ?

Ce fut étrange pour Harry, presque pénible encore que de rester là, lui causant une sorte de nœud au fond du cœur, que lui aussi, il déferait à renfort d'alcool trop fort.

Il resta pourtant, se répétant comme pour s'en convaincre qu'il ne pouvait de toute façon pas sortir sans être remarqué. Malefoy répéta la même opération, deux fois encore, jusqu'à laisser s'écouler ce qu'Harry considéra comme une grande quantité de sang. Pas étonnant qu'il soit toujours si pâle. Puis enfin, même si le tout n'avait pas duré plus de cinq minutes, Drago referma la dernière plaie, nettoya le sol tâché de son hémoglobine puis se glissa, longiligne et gracile dans l'eau.

Et alors, dans une lumière qui imitait parfaitement celle d'un soleil un matin de printemps, Harry admira. Les rayons de lumière qui dessinaient des rivières d'or sur la peau d'opale du corps qui se laissait flotter à la surface, les cheveux d'un blanc nacré comme une couronne de perles autour du visage apaisé mais où l'on pouvait lire les restes de douleur.

Harry la vit. Evidemment, Harry la vit. Elle était là, noire, si brutale, si incongrue sur la peau qui semblait elle si fragile, prête à se briser sous la Marque. Il ne dit rien. Ne la regarda pas. Mais il le vit, lui, dans cette image si parfaite qu'elle semblait fausse, flotter sur l'eau faite de rayons d'or, comme une naissance.

« Alors, le voyeur ? »

Il n'avait même pas encore enjambé le banc pour rejoindre la table du petit-déjeuner. Drago, lui, était déjà installé à celle des Serpentards.

Harry ne pouvait pas le regarder. Il l'avait vu sortir, trempé, s'enrouler dans un large châle de soie pour se sécher. Il avait vu le tissu humide épouser toutes ses courbes avant de s'habiller et de revêtir le masque du Roi des Serpentards qu'il lui connaissait si bien. Il avait du attendre de longues minutes que la pression ne redescende et que le couloir soit libre pour qu'il puisse sortir.

Hermione le harponnait d'un regard lourd de reproches. Harry tiqua, un rictus qui lui donnait un air un peu dément.

« As-tu vu la Marque ? chuchotta-t-elle. »

Même Ron, qui feignait le désintérêt, releva les yeux. Hermione, elle, ne baissait pas le regard, voulait le confronter, entendre qu'elle avait eu raison.

Mais Harry ne dit rien. Il ne pouvait pas lui avouer qu'elle avait eu tort, car alors, il faudrait aussi admettre au moins une partie de ce qu'il avait vu ce matin. Le corps nu de Malefoy. Et il était certain de ne pas pouvoir évoquer cela sans faire trembler sa voix.

Il ne pouvait pas non plus mentir ; lui dire qu'il n'avait rien vu et l'entendre jubiler alors que dansait en kaléidoscope derrière ses paupières, la vision d'un Malefoy ensanglanté.

Dans une grimace, il se saisit d'une part de tarte à la mélasse et d'un verre de jus de citrouille. Se tournant vers Ron, il se contenta de lui adresser un :

_ Je te verrai sur le terrain de Quidditch. »

Et leur tourna le dos. 

Adava AmortentiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant