CHAPITRE 10 : L'ÉTANG

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Le lendemain matin, très tôt, je me réveille. Le soleil est aussi au rendez-vous.
Je me lève avant tout le monde, je n'arrive à avaler qu'un verre de jus d'orange. Je sais ce qu'il doit se passer aujourd'hui et je n'en ai pas du tout la force. C'est encore un au revoir qui me déchire le cœur et particulièrement celui-là. Me dire que je dois verser les cendres c'est comme-ci on m'enlevait toute opportunité de l'avoir près de moi, de pouvoir le toucher. Je ne veux plus. Je retourne chez mon père, seule. Je prends l'urne avec moi dans le canapé et la serre fort contre moi. Je prends également une peluche Scrat (personnage du film L'âge de glace qu'il adorait) que je lui avais achetée en brocante un jour. Je serre ces deux choses précieuses dans mes mains.

Je ne veux plus du tout faire ça. Je veux garder papa près de moi pour toujours. Il ne me reste plus que ça. En fait dans ma tête, et c'est très bizarre de vous dire ça, mais pour moi il y avait encore de lui (de la matière) et c'est comme si d'un coup de baguette magique je pouvais rassembler tous ces petits morceaux pour le faire revenir. C'était encore une phase de déni dans ma tête ou je n'acceptais pas du tout sa mort et je pensais encore qu'il allait revenir : c'était une blague, regardez je suis là. 

Donc de devoir me séparer de ça, c'était vraiment lui dire au revoir à jamais car quand on aurait dispersé tout de lui, je n'aurai plus l'occasion de le toucher, de le voir réapparaître dans ma vie. Je vous écris tout ça avec beaucoup de peine puisque je ressens encore parfois ce sentiment de me dire : si je n'avais pas jeté ces cendres, aurait-il pu revenir à nous? Parfois l'absence d'un être aimé nous fait penser à des choses complètement absurdes et insensées. Mais le manque était tellement présent que l'on donnerait tout pour revivre un moment avec la personne.

Je reste dans ce canapé à embrasser cette urne que je serre fort contre ma poitrine. Je lui dis ce que j'ai sur le cœur : que je l'aime, que je ne veux plus qu'on le fasse, qu'on doit le garder avec nous.

Puis je me rends compte que cet acte serait égoïste, il doit reposer là où il a envie d'être, je n'ai pas le droit de le garder comme ça près de moi.

Avec le recul, j'ai des tas de souvenirs en tête, son sang qui coule dans mes veines, son nom de famille et son amour ancré dans le plus profond de mon âme. Et ça ce sont les choses les plus précieuses que j'ai de lui. Ce ne sont pas ses cendres qui vont m'aider à guérir mais le temps et les souvenirs. 

Je finis par l'embrasser, lui dire à quel point je l'aime et à quel point il me manque déjà terriblement. Il le sait et je sens comme sa présence qui m'entoure et qui me rassure. Mon père était là, je sentais qu'il m'aidait à faire le deuil de cet acte à ce moment précis. J'ai pris une grande inspiration, pris l'urne de papa et j'ai rejoint les autres pour réaliser ses dernières volontés.

C'est bizarre mais j'étais contente d'avoir partagé encore un moment unique avec mon père, un dernier moment dans ce canapé, dans cette maison pleine de souvenirs et d'amour, juste lui et moi. J'avais besoin de ces moments avec lui. Seule, je pouvais ouvrir mon cœur, laisser mes larmes couler sans craindre de dépeindre ma peine sur qui que ce soit.

Nous sommes allés à cet étang. Ma gorge se serre, mes pieds et mes jambes ont du mal à se coordonner pour avancer. Je sens ce poids sur mes épaules. Je revois tous ces souvenirs à l'étang avec mon père : les pique-niques, les parties de pêches, les batailles de vase, nos premières nages, nos promenades à pied ou à vélo, ce ponton d'où l'on sautait et d'où l'on faisait nos meilleures bombes. Je suis entourée par ma famille, heureusement qu'ils sont là même si le silence est pesant et lourd, l'amour et la solidarité sont présents. 

PATUTE, à coeur ouvertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant