Chapitre 16

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Point de vue Keir

Je coupe mon portable et m'enfonce dans mon canapé, toutes les lumières éteintes. Je tente vainement de ne pas réfléchir, sans y parvenir. Tout se mélange dans ma tête et je me perds au milieu de ce tumulte.

Je repense à Eliana, que ce soit son regard noir ou la détresse que j'ai pu voir en elle tout à l'heure. Je repense à ce baiser que Harry lui a pris et qui continue de me détruire de l'intérieur.

Puis, je repense à ma vie ici, à Whitesboro. Je repense à mes efforts et mes progrès contre cette vicieuse dépression qui me pourchasse depuis plusieurs semaines.

Et alors que j'ai l'impression que les choses vont mieux...

Mon corps tout entier se crispe et je dois plaquer mes mains sur mes oreilles pour m'empêcher de hurler. La peur glaçante de la mort me brûle les veines et m'embrouille le cerveau.

C'est si douloureux. Si effrayant.

Chaque feu d'artifice me provoque des nouvelles angoisses, toujours plus terrifiantes.

Je revois Olivia avec son sourire, assise sur une scène, une guitare à la main. Je la revois en train d'éclater de rire après une blague de Niles. Je l'entends chanter une vieille musique country.

La seconde d'après, comme le feu d'artifice, le coup de feu part et elle meurt. Elle tombe au milieu de ma pelouse, les yeux écarquillés.

Je la regarde tomber, incapable de faire le moindre mouvement. Je vois son corps s'écraser sur le sol, alors que la vie la quitte.

Chaque feu d'artifice représente une nouvelle mort.

Encore et encore.

Mort. Mort. Mort.

— Sergent ?

La voix me parvient de loin, mais je la reconnais. Lorsque je relève la tête, mes yeux sont troubles à cause des larmes et je les pose sur Alex qui entre dans mon salon, les sourcils froncés.

Il me découvre donc recroquevillé, les mains fermement posées sur mes oreilles et s'immobilise au milieu de la pièce.

— Ser...

Il s'arrête.

Le nouveau feu d'artifice provoque un flash de lumière autour de nous et il me voit enfin.

Je ne sais pas comment je suis censé réagir de me retrouver aussi vulnérable devant un de mes gars, mais je n'arrive pas à me contrôler.

Il y a trop de mort autour de moi pour que je puisse faire attention au reste.

C'est plus fort que tout.

— Keir ?

L'entendre utiliser mon prénom me ramène un peu à la réalité. Comme s'il tentait de traverser l'obscurité de mon esprit, il s'avance lentement dans la pièce, les mains en évidence.

— Est-ce que tout va bien ?

Sa voix est troublée par mes paumes, mais je l'entends.

Au moment où il entend le feu d'artifice, il semble comprendre mon état. Je le vois écarquiller les yeux.

La seconde d'après, il sort des écouteurs de sa poche et me les glisse directement dans les oreilles avant d'enclencher la réduction de bruit.

Aussitôt, un léger soulagement m'envahit, et il continue en lançant une musique douce qui couvre l'intégralité des sons autour de moi.

Je reste donc ainsi de longues minutes, tout en regardant les feux éclairer le ciel par la fenêtre. C'est beau, quand il n'y a pas de bruit.

Au moment où la musique s'éteint, je prends conscience qu'il n'y a plus de feux et Alex est assis dans le fauteuil face à moi. Il attend que je retire les écouteurs pour les récupérer tout en plongeant son regard dans le mien.

— Ça va mieux ?

Je me racle la gorge, mal à l'aise d'avoir été aussi vulnérable devant lui, mais hoche la tête.

— Merci.

Il hausse les épaules et ne semble pas vouloir s'y attarder.

— C'est normal.

Nous restons dans le silence quelques secondes, durant lesquelles je fixe le sol et il regarde par la fenêtre. Nous sommes toujours dans le noir et sans les feux d'artifice, je réussis à peine à voir son corps se découper dans l'ombre de la pièce.

— Est-ce que je t'ai déjà parlé de mon passé ?

Sa voix surgit dans le silence et attire mon attention. Aussitôt, je pose mon regard sur lui.

— Non ?

— Il y a quatre ans, Trevis et Yann m'ont envoyé en désintox.

La surprise me prend à la gorge. J'ai pourtant déjà vu Alex boire des bières à la Géhenne, ou pendant son barbecue. Surtout, je n'avais jamais entendu parler d'un passé sombre depuis mon arrivée.

— Encore peu de monde sont au courant, précise-t-il quand il croise mon regard. J'étais devenu accro à la cocaïne et après plusieurs mises en garde, Trevis m'y a envoyé une première fois. Puis une seconde. Quand j'étais enfermé là-bas, j'avais envie de mourir. Je me sentais seul et détruit. Ce n'est rien comparé à ce que tu as vécu, mais je veux que tu saches que si je suis encore là aujourd'hui, c'est parce que j'ai laissé Yann et Cléa m'aider. Même si j'ai tenté de me renfermer au début, j'ai fini par abandonner contre moi-même. Alors, si tu as besoin, je suis là, moi aussi.

Ses mots se greffent dans ma poitrine et me donnent envie d'y croire. L'espace d'une petite seconde, je me suis senti compris et entouré.

Mais c'est éphémère et rapide.

La solitude s'enroule encore plus fermement autour de mes organes et me glace de l'intérieur.

— Merci, Alex.

Il comprend que je ne veux pas parler, alors que j'en meurs d'envie. Mais mon cerveau refuse de se libérer.

Parce que lorsque je n'aurais plus mal, qu'est-ce qu'il me restera d'elle ?

Rien.

La colère et la douleur sont les seuls choses qui me ramènent à elle.

— N'importe quand, murmure-t-il.

Il se lève, incertain, et pousse un petit soupire.

— Au fait, j'étais venu pour t'inviter à la fête chez Yann, mais j'imagine que t'as pas la tête à ça.

— Non, merci. Je vais aller me coucher.

— D'accord.

Il frotte ses mains sur ses cuisses et se racle la gorge.

— Si jamais tu as besoin... Rallume ton portable et appelle-moi.

Je hoche la tête et il finit par abandonner.

— Bonne soirée, sergent.

— Bonne soirée.

Lorsqu'il part, j'ai envie de le retenir, de lui parler d'Olivia et de ses fêlures qui semblent avoir été les siennes aussi. J'aimerais lui demander si elle me déteste aujourd'hui, si elle m'en veut de l'avoir tué en la retirant de son enfer...

Parce que c'est ça. Si elle était restée avec lui... Elle serait en vie aujourd'hui.

Au fond, c'est comme si je l'avais tué de mes propres mains.

Black Bikers, Tome 1 : La louve indomptéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant