Chapitre 28

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Point de vue Keir

Les sourcils froncés, je regarde attentivement toutes les dernières menaces que nous avons reçus ces dernières semaines, afin de trouver la moindre correspondance entre chaque. Le moindre indice.

Mais rien.

« La haine est notre seule raison d'être et vous devrez en assumer les conséquences. »

« Œil pour œil. Dent pour dent. »

« Vos frères et vos fils mourront comme les nôtres. »

« Vous avez pris ma fiancée, je vous prendrais la vôtre. »

« Vos pouvoirs arrêteront de détruire nos vies. »

Tout est question de vengeance, mais rien ne coïncide. Nous connaissons tous le risque de faire partie du club, de la violence qui s'en accompagne toujours, mais je n'avais jamais été confronté frontalement à ce genre de propos écrit.

Entendre des insultes venant de la bouche de nos ennemis, je m'y suis habitué, mais ces mots... Je ne comprends pas.

— Je ne comprends pas, marmonne Yann à côté de moi.

Je sursaute en relevant la tête vers lui alors qu'il est penché par-dessus mon épaule pour regarder les lettres. À cause de ma surprise, il esquisse un sourire amusé et recule d'un pas en levant les mains en l'air.

— Pardon, sergent, je pensais que tu m'avais entendu.

Je reprends mon souffle en le fusillant du regard et fronce du nez, alors qu'il hausse les épaules en glissant ses mains dans ses poches.

— Je passe mes journées dessus et je ne comprends pas, s'enquit-il. Mon père m'a dit qu'il n'avait rien entendu venant de ses indics, mais quand même... Tout ça doit bien vouloir dire quelque chose !

Je hoche la tête pour approuver ses dires et repose mon regard sur tous ces écrits. Comme moi, il s'avance et en attrape deux en mains.

— » Vos frères et vos fils mourront comme les nôtres » et « Vous avez pris ma fiancée, je vous prendrais la vôtre » se ressemblent beaucoup, mais sont pourtant différents... Comme si on avait tué volontairement quelqu'un pour les blesser... Est-ce que tu as déjà entendu quelque chose comme ça dans le sud ?

Je cherche dans ma mémoire, mais même à Seguin, je n'ai jamais entendu de telle chose. Nous ne tuons pas pour le plaisir, mais par nécessité, et nous ne tuons pas d'innocents. Si quelqu'un est tué, c'est forcément pour protéger nos frères.

— C'est peut-être par rapport à un club ou à un gang qu'on a dû blesser... marmonné-je. Je ne connais pas assez vos historiques d'ici. Ça te parle ?

Il arque un sourcil en croisant les bras sur sa poitrine.

— On a géré beaucoup de démantèlement toutes ces années, mais pour de bonnes raisons.

— Quand tu entends « démantèlement », tu veux dire « destruction » d'un groupe ?

— J'essaie d'être poète, mais ouais. Chaque année, on voit émerger des gangs ou des clubs qui utilisent la violence pour survivre. Si tu penses que les Red Blood sont mauvais, tu n'aurais pas aimé rencontrer ceux qu'on a tué... Trafic de femme, d'enfant, d'organe... Mon Dieu, on a vu des trucs horribles. Alors, ouais, c'est déjà arrivé qu'on tue l'intégralité d'un groupe, mais c'était pour de bonnes raisons.

J'ai aussi connu différentes organisations dans ce genre, à Seguin. Je sais à quel point c'est dur et déstabilisant de se confronter à ce genre de personnes. En ayant vécu à Whitesboro, je comprends même très bien le problème que cela peut provoquer : dans une ville comme ici, les Black Bikers sont aussi une sécurité pour certains établissements. Ils paient pour leur protection et n'ont jamais été à plaindre. Alors, à l'arrivée d'un nouveau groupe, c'est toute cette harmonie qui se retrouve brisé.

Je comprends leur réaction.

Mais lorsque je pose mon regard sur ces bouts de papiers, je prends conscience que tout ça vient sûrement de là.

— Tu penses que toutes ces personnes qui ont été tué avaient des gens autour d'eux capable de remonter jusqu'à nous comme ça ?

Yann hausse les épaules et soupire.

— Je ne sais pas... Tout ce que je sais, c'est que si c'est le cas... Ça ne s'arrêtera pas si simplement.

Ses mots résonnent encore en moi de longues secondes, les yeux figés sur ces lettres. Mon estomac se contracte d'anticipation et d'inquiétude alors que toutes sortes de pensées se mélangent dans ma tête.

Inconsciemment, je repense à cette vie que j'ai commencé à me construire ici. Je repense à ma maison, à ma routine, à mes rondes avec Alex et Spencer, à ce lien indéfectible que je retrouve à nouveau avec tous mes frères, à cette sensation d'apaisement dans ma poitrine et d'acceptation suite au décès d'Olivia... Et je repense à Eliana.

Pendant une seconde, j'imagine ce que toute cette situation pourrait provoquer et ce que ça pourrait briser. Le calme, la tranquillité, la sécurité...

Je sens mon cœur s'emballer et mon souffle se perdre alors que l'inquiétude s'infiltre dans mes veines et remonte directement à mon cœur.

— Mais ça va aller, sourit Yann en me donnant une tape sur l'épaule. On est tous ensemble. On va y arriver.

J'aimerais croire à tout ça, faire confiance au club et à notre force, mais après tout ce qu'Eliana a subi, après toutes les lettres que nous avons reçues... Ce n'est pas si simple.

Eliana est sous la protection du club, même si elle la rejette. Pourtant, ça ne lui a pas permis d'éviter toute cette violence. Elle n'a pas été épargné ou sauvé à temps. Elle a subi. Encore et encore.

Je sais que je ne devrais pas penser à elle, que je devrais m'interdire de ressentir la moindre inquiétude ou rejeter tout ce qui me rattache encore à elle... Elle m'a très bien fait comprendre ce qu'elle pensait de moi et surtout de nous, pourtant, je ne peux pas m'en empêcher.

Mon corps me hurle de la protéger. J'ai envie de la rejoindre et m'assurer qu'elle va bien.

Je ne bouge pas.

Je dois me contrôler.

Eliana a décidé de tout arrêter au moment où elle a préféré un autre. C'est aussi simple que ça.

Pourtant, je continue de me demander comme elle va.

Et quand je pose à nouveau mon regard sur une des lettres... « Vous avez pris ma fiancée, je vous prendrais la vôtre. »

Je me demande si elle pourrait être en danger à cause de moi. 

Black Bikers, Tome 1 : La louve indomptéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant