Black Bikers, Tome 1 : La louve indomptée

Chapitre 10

Point de vue Keir

Quand nous ne sommes pas au QG, nous avons une salle privée dans le bar de la ville. L'Empyrée est un bar dansant, si on est polis. Sinon, c'est un club de striptease.

En tout cas, le fait que la mère de Yann en soit la propriétaire nous aide grandement. On a donc une belle salle privée dans le fond des couloirs pour nous y entretenir, quand elle n'est pas utilisée pour des paris clandestins.

Magnus Floyd a plusieurs tours dans son sac pour gagner de l'argent... C'est un bon trésorier, il faut le reconnaitre.

En tout cas, ça va faire deux heures que nous sommes là, en pleine discussion pour mettre à jour toutes nos dernières informations, et rien ne semble encore cohérent.

— Ugo m'a parlé d'un nouveau groupe...

La voix de Freddy attire tous notre regard. Il est revenu il y a une dizaine de minutes d'une petite mission et arbore un regard timide et gêné qui lui correspond bien.

Le fait qu'il soit jeune nous aide pour beaucoup de chose, notamment le fait qu'il soit proche de tous les prospects et jeunes du club.

— C'est-à-dire ? m'enquis-je.

— Je ne sais pas... marmonne-t-il finalement. L'autre soir, en allant au Cocyte, il a remarqué qu'un gamin le suivait alors il a tout fait pour le semer et en se cachant, il a pu inverser les choses et l'a suivi.

— Il a l'air doué ce gamin, se marre Yann.

— Son père est un des sergents d'arme, s'enquit aussitôt Freddy. Il sait ce qu'il fait...

Niles m'a effectivement parlé de Ugo. Il s'agit d'un de ses prospects avec qui il est le plus souvent, et son père, Charles, est un second sergent d'arme. Si à Whitesboro, nous ne sommes que deux, à Dallas ils sont quatre : Niles, Daniel, Elijah et Charles. Alors, pour éloigner le jeune prospect de son cher papa, Niles se retrouve avec le bébé.

Pas qu'on se plaigne, actuellement. Ce gamin semble plus intéressant que je ne le pensais lorsque je l'ai rencontré. Il a l'air tellement timide et calme, alors qu'il est plutôt compétent.

— En tout cas, en suivant le gars, il est remonté jusqu'à un quartier de Dallas et il a vu que c'était juste des gamins de la cité. Peut-être que ça vient de là ? Un gang ?

Je réfléchis alors que Harry pousse un soupir.

Bien qu'on ne s'entende toujours pas, nous travaillons bien ensemble et lorsque je croise son regard, je hoche la tête. En me levant, Alex me suit et nous sortons de la pièce pour nous isoler dans une chambre à côté.

— J'appelle Niles pour voir s'il en a entendu parler, tu peux...

— Sergent ?

Le fait qu'il me coupe la parole – en utilisant mon titre surtout – me fait froncer les sourcils et je me tourne vers lui. Il s'appuie contre la porte, les bras croisés, la tête légèrement penchée.

— Quoi ?

Alex est loyal au club, il croit véritablement aux valeurs et à la hiérarchie, alors je ne comprends pas lorsque je croise son regard perplexe.

— Est-ce que c'est toi qui as envoyé Freddy et Carter devant la librairie de Lia aujourd'hui ?

En étant totalement honnête avec moi-même, je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. Peut-être que j'avais envie de me changer l'esprit, ou alors de la faire réagir, je ne sais pas... Mais oui, je l'ai fait.

Depuis quelques semaines, je n'arrive pas à éprouver la moindre sensation ou émotion, je me sens mort à l'intérieur de moi. Pourtant, Eliana réveille quelque chose dans ma poitrine et me fait ressentir à nouveau quelque chose.

Même alors que c'est de l'agacement ou de la colère, ça me va. Je ressens enfin quelque chose.

Alors, en rentrant chez moi hier soir, j'ai entendu sa voix résonner dans mon crâne alors qu'elle me criait dessus à l'hôpital, et j'ai eu envie de me venger...

« Tant que vos initiales ne sont pas sur les vitres de l'hôpital, vous n'avez rien à dire. »

Ce n'était clairement pas la meilleure idée du siècle, je le conçois. Je pourrais même le regretter, au fond, mais pas du tout. Cette petite pique va sûrement faire flamber quelque chose chez elle et réveillera à nouveau quelque chose en moi.

J'en ai besoin.

Il faut que je ressente à nouveau quelque chose.

Malgré tout, je ne fais qu'arquer un sourcil en direction d'Alex qui continue de me jauger du regard.

— Pardon ?

— Lia m'a appelé pour me dire que Freddy et Carter étaient devant sa librairie, et même s'ils n'ont pas voulu me dire la vérité, je crois comprendre que ça vient de toi. Alors... C'est toi ?

— On est en pleine réunion de crise, Alex. Qu'est-ce que cette histoire vient foutre là-dedans ?

Ma remise au point est absolument culotée. Surtout quand je vois ses yeux s'écarquiller légèrement avant qu'il ne se racle la gorge.

— Oui, tu as raison. C'est juste que Lia...

Il s'arrête et soupire.

— Sa librairie compte énormément pour elle. Je ne sais pas d'où ça vient, mais je ne veux pas qu'elle soit impactée par mes choix. Rejoindre les Black Bikers est mon choix, et je sais qu'elle n'aime pas y être mêlé... On verra ça plus tard.

Je hoche la tête alors qu'il sort son portable.

— Je vais appeler...

Sa voix s'efface lorsque j'entends des lourds coups contre la porte et en quelques secondes, elle s'ouvre pour nous présenter le visage sombre de Yann.

Alex réagit aussitôt en s'approchant de lui et l'attrape par les épaules.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Sergent...

Yann me jette un regard auquel je réponds par un haussement de sourcil. Puis, doucement, je sens que quelque chose s'est passé et m'avance.

— Quoi ?

Il me fait signe de le suivre et alors que je traverse l'Empyrée, plusieurs regards se posent sur moi et semblent jauger ma réaction. Il s'est passé quelque chose d'assez grave pour que tout le monde soit inquiet.

Lorsque j'arrive sur le parking, je comprends mieux.

Jamais, jamais, jamais, je n'avais ressenti quelque chose comme ça.

Ma moto est entièrement recouverte d'autocollant rose.

Je la fixe sans savoir comment réagir.

Plusieurs émotions s'empressent de m'envahir et je continue simplement de rester là, immobile, sans que rien ne s'échappe. Mais doucement, une parmi les autres arrive à surpasser et vibrer dans ma poitrine.

L'amusement.

Après autant de temps à me sentir mourir de l'intérieur, je ressens une touche de bonheur m'envahir...

Que la guerre continue.