Echos des Brumes [ BARDATTAL ]

I - Les premiers indices

« Monsieur, un corps a été retrouvé dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye ».

Gabriel, procureur, leva les yeux de son dossier pour fixer son collègue qui venait de faire irruption dans son bureau. Le jeune homme était rouge, son souffle court et saccadé, trahissant la précipitation avec laquelle il avait accouru pour annoncer cette nouvelle. Pourtant, pour Gabriel, cette tragédie n'était qu'une autre journée ordinaire dans l'enfer quotidien de son travail. Encore une vie qui avait été enlevée cruellement. C'est pourquoi, le visage du procureur resta impassible face à cette nouvelle. Il se contenta de hocher la tête, un geste à peine perceptible.

Cela faisait des années que Gabriel n'était plus bouleversé par ces annonces. Le meurtre était devenu une constante, une litanie macabre qui rythmait sa carrière. Chaque nouveau cadavre n'était qu'un dossier de plus sur sa pile, une autre âme brisée par la violence aveugle qui semblait s'accroître chaque jour dans la société. Il avait appris à s'en détacher, à enfouir son humanité sous des couches de professionnalisme.

Son collègue quitta son bureau. Le procureur se redressa lentement, son regard glissant vers la fenêtre de son bureau. « Encore une vie prise trop tôt » pensa-t-il avec une amertume à peine voilée. Il finit par se lever, enfilant sa veste de costume. Il suivit son collègue qui l'attendait devant son bureau et se dirigèrent à l'extérieur du tribunal, auprès d'une équipe de police.

Gabriel ne comptait plus le nombre de scènes de crime qu'il avait visitées, ni les nuits blanches passées à scruter des dossiers à la recherche de la moindre piste. Plus les jours, les mois, les années, les époques passaient, plus les êtres humains devenaient des monstres. Il ne risquait pas de se retrouver sans travail.

Comment un être humain pouvait tuer son semblable ? Cette question lui donnait presque le vertige, surtout lorsqu'il était témoin de la cruauté dont la plupart des meurtriers faisaient preuve. Mais, Gabriel, en tant que procureur, connaissait très bien le monde cruel dans lequel il évoluait maintenant. Depuis des années, il étudiait les profils des assassins, des psychopathes, des prédateurs. Il savait très bien que ces personnes-là étaient en quête de pouvoir, des manipulateurs nés, capables de se créer des masques pour attirer leurs victimes dans leurs filets. Certains d'entre eux étaient des âmes brisées, marquées à jamais par des traumatismes d'enfance, transformés en monstres par la cruauté qu'ils avaient subie. Ces profils, il les connaissait par coeur.

Gabriel laisse son regard errer à travers la vitre de la voiture qui se dirigeait vers la nouvelle scène de crime. Son regard se posa sur un oiseau qui volait, suivant sa trajectoire. Son esprit était lourd de questions. Qui était la personne qui venait de perdre la vie ? Etait-ce une femme ? Un homme ? Avait-elle des enfants, une famille qui l'attendait encore ? Quelle était son âge ? Aimait-elle la vie ? Avait-elle connu le bonheur ? Ah... la vie. Elle pouvait être si courte pour certains, alors qu'elle s'étirait interminablement pour d'autres.

Gabriel se rappela une citation de Gabrielle Roy qui l'avait toujours frappé : « Qu'est-ce qui est le pire : mourir trop jeune, ou vivre trop vieux ? » Cette question le hantait parfois. La vieillesse, après tout, n'était-elle pas une lente descente vers la déchéance ? Avec l'âge, on perdait bien plus que ses cheveux. Nos capacités intellectuelles déclinaient, nos souvenirs s'effaçaient et notre corps devient un fardeau, affligé par des maladies. On revenait à la case de départ : on redevenait des nourrissons, dépendant de quelqu'un. La vieillesse est une épreuve douloureuse et difficile. Gabriel se demandait s'il n'était pas préférable de mourir avant de connaître cette chute. Peut-être qu'il vaut mieux partir après avoir réalisé ses rêves, après avoir goûté à la réussite et au bonheur, avant que la vie ne devienne un poids insupportable. Il vaut mieux mourir avant sa propre perte.