Chapitre 16 : Aron

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Les grands yeux de biches de la rouquine me dévisagent avec une tristesse flagrante, me faisant soupirer intérieurement d'ennui. Contrairement à mon ami Crys, l'humaine – ou demi-mortelle – est incapable de saisir l'étendue de ma décision.

Elle ignore la réalité sinistre qui se cache derrière le spectacle de ce soir : le sacrifice de tous nos « invités » terriens. Et lorsqu'elle en prendra conscience... Nul doute qu'elle ne sera pas ravie d'apprendre le massacre de son peuple. Je grimace en y pensant, mais préfère chasser ces idées noires de mes pensées. Je ne vais pas m'embêter avec ce souci-là maintenant, je pourrai me pencher sur ce dilemme moral plus tard.

Pendant ce temps, mon ami fae, quant à lui, a bien compris la situation et peine à dissimuler son étonnement. Arquant un sourcil avec un intérêt malsain, Crys observe désormais Cayla d'un œil nouveau, rempli d'interrogations et de suspicion. Il faut dire que tout comme lui, mon aversion pour la race humaine n'a jamais été un secret.

Ce qu'il ne soupçonne pas, c'est que la rouquine est différente. Non seulement du sang fae court dans ses veines, mais surtout, elle dégage une force et une vulnérabilité qui m'intriguent. Sa fragilité face aux hommes de son passé et son dévouement pour sa famille la rendent incroyablement fascinante à mes yeux.

Je n'ai pas envie de la voir rejoindre ses congénères dans la mort. Même si une partie d'elle fait partie de cette espèce pathétique que j'exècre, elle ne ressemble pas aux autres et elle ne mérite pas de subir le même sort qu'eux.

La contemplant pensif, je me rends compte qu'une partie de ma personne se reconnait étrangement en elle. Fût un temps où moi aussi, j'étais faible et vulnérable à la violence des autres. Ma mâchoire se contracte d'ailleurs en me remémorant quelques souvenirs de la rage coutumière de mon père et de la peur tenaillante que je ressentais durant cette période de ma vie... « Mais cette époque est révolue », me rappelé-je en serrant les poings et en repensant au corps de mon géniteur sans vie. Depuis lors, je n'ai jamais plus fait preuve de faiblesse, écrasant chacun de mes ennemis sans une once de pitié.

Tout comme moi, je suis convaincu que Cayla est plus féroce qu'elle ne l'imagine. Je suis même persuadé que poussée à bout, elle ne s'effondrera pas, mais se battra plutôt comme une lionne. J'attends avec impatience de voir émerger la guerrière qui sommeille en elle.

Quelque chose me dit que sa colère entrainera un chaos particulièrement distrayant.

— Aron, je veux aller au spectacle, moi, insiste la jeune femme en boudant, me sortant ainsi efficacement de mes pensées. Tu es sûr qu'il n'y a pas moyen que nous y participions ?

Je secoue la tête.

— Crois-moi, nous ne manquerons rien d'intéressant, la corrigé-je. A la place, je préfère te faire découvrir un endroit en Faerie que tu n'as pas encore eu le privilège d'observer. Sous la lumière de la lune, ce lieu donnera droit à un spectacle splendide qui – je suis sûr – te laissera sans voix.

Une étincelle de curiosité brille soudain dans le regard de Cayla. Se mordillant la lèvre, je l'entends marmonner et hésiter, mais elle finit par acquiescer et accepter ma proposition.

— D'accord... mais ça a vraiment intérêt à valoir le détour !

Sa menace me fait doucement esquisser un sourire.

— Tu ne le regretteras pas, fais-moi confiance, murmuré-je contre elle.

« Ou pas », pensé-je en imaginant sa réaction demain matin en découvrant toute la supercherie. Il est vrai qu'un réveil brutal l'attend dans quelques heures... Mais au moins, elle sera en vie. Grâce à moi.

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