Prologue: Cayla

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— Cayla, Jacob te demande dans son bureau.

Un instant décontenancée par l'interruption de mon collègue, je laisse tomber le rapport que j'étais en train de corriger et reporte immédiatement mon attention sur mon interlocuteur. Les yeux levés vers son visage, je l'observe, les sourcils froncés. Que peut bien me vouloir le directeur ? Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour me faire convoquer auprès de lui ? Alors que je m'interroge, Patrick me regarde avec amusement en penchant la tête légèrement sur le côté.

— Tout va bien, Cayla ?

Me sortant de mes pensées, mes yeux se posent sur le sourire communicatif de mon collègue et mes lèvres s'étirent. Rapidement, je hoche la tête.

— Oui, je suis juste un peu distraite.

Le sourire de mon homologue s'agrandit encore. Ses yeux bleus me fixent avec douceur et d'une voix grave, il tente de me rassurer :

— Pas de panique. Jacob est de très bonne humeur aujourd'hui et semblait vraiment impatient de discuter avec toi. A mon avis, c'est une bonne chose qu'il veuille te voir dans son bureau.

Je sens la tension s'alléger et le poids sur mes épaules me semble moins lourd. Avec reconnaissance, je remercie mon collègue et me lève pour aller voir par moi-même ce que le boss me veut.

Lorsque je franchis la porte de son office, le directeur ne lève pas tout de suite les yeux vers moi. Il parait concentré et tape avec ardeur sur son clavier d'ordinateur. Il semble inspiré... Pour ne pas interrompre son élan créatif, je demeure immobile devant lui et attend sagement qu'il me remarque.

Au bout de quelques minutes, ce dernier relève enfin la tête et son sourire est titanesque. Stupéfaite, je me demande vraiment ce qui a pu le mettre dans une telle humeur. Jacob n'est jamais souriant. Ou, en tout cas, très rarement.

— Cayla, je suis content de te voir. J'ai une grosse opportunité pour toi, m'informe-t-il d'une traite, excité.

Les yeux légèrement écarquillés, je suis de plus en plus intriguée.

— Comme tu l'as peut-être déjà entendu, pour la première fois depuis longtemps, les Faes nous accordent le privilège de participer à la célébration de l'équinoxe du printemps en leur compagnie. La reine Maëlys et le roi Treyvir ont distribué une cinquantaine d'invitations à travers tout le pays, annonçant que ceux qui détiendraient ces cartes bénéficieraient du privilège de passer une semaine en Faerie sous leur protection.

Le front plissé, je l'écoute et commence à deviner où va amener la conversation.

— Je suis parvenu à me procurer l'une de ces invitations, poursuit-il, fou de joie. Comme tu t'en doutes, c'est une incroyable opportunité d'en apprendre plus sur eux et ça peut faire l'objet d'un article légendaire qui pourrait nous projeter au top ! lâche-t-il, fébrile, les yeux brillants.

Ma gorge me semble soudainement sèche. C'est bien ce que je craignais...

— Tu souhaites que j'aille en Faerie pour écrire un article ? croassé-je, stupéfaite.

N'est-il pas au courant de ce qui arrive aux gens qui repartent de la Faerie ? N'a-t-il pas entendu parler des accidents ?

Il y a cinq ans, tout le monde parlait de ces pauvres gens qui étaient revenus du territoire féérique. Aujourd'hui, tous sont décédés, certains quelques jours seulement après leur retour, et d'autres après plusieurs mois. Aucun n'a été épargné. La mort les a touchés un par un. D'où les rumeurs qu'une malédiction toucherait tous les visiteurs de la Faerie.

Hochant la tête avec vigueur, mon boss reprend :

— Cayla, tu imagines comment un tel article pourrait faire décoller ta carrière ? Tu es l'une de mes journalistes les plus prometteuses et je sais que tu mérites un sujet à la hauteur de ton talent.

Hum... Nerveuse, je mordille ma lèvre inférieure. Je me rends bien compte que Jacob joue sur les compliments pour m'amadouer, mais une partie de moi reste flattée.

Je n'oublie cependant pas le risque que représente « cette superbe opportunité ».

— Et à propos des accidents...

— Tu n'as pas à t'inquiéter, me coupe Jacob nonchalant, un geste désuet de la main. Il n'a jamais été établi que ces événements n'étaient pas simplement des coïncidences, et lors de ton séjour en Faerie, tu bénéficieras de la protection du roi et de la reine Fae.

Agitée, mes mains triturent discrètement le bas de ma blouse.

— Peut-être, mais je ne suis pas sûre que...

— Ou peut-être préfères-tu que je donne le carton d'invitation à Jenifer ? m'interrompt-il fermement, un sourcil relevé.

Ma bouche se referme aussitôt et mes lèvres se pincent. Voilà qu'il sort la carte 'Jennifer'. Une vague de colère me submerge. S'il y a bien une de mes collègues que je ne supporte pas ici, c'est bien elle ! Et Jacob est parfaitement au courant de notre rivalité.

— Bien sûr que non, marmonné-je, irritée.

Ravi de mon revirement, les lèvres de mon interlocuteur s'étirent à nouveau. Fouillant dans un de ses tiroirs, je le vois sortir une enveloppe entièrement noire. Les yeux de mon patron sont fixés aux miens alors qu'il me tend l'enveloppe.

Expirant lentement, je m'avance pour prendre le carton d'invitation en main. Celui-ci semble peser lourd et je regrette presque aussitôt ma décision de le saisir. Est-ce vraiment une bonne idée ?

— Tu pars dans cinq jours, me fait savoir Jacob en reposant son attention sur l'écran de son ordinateur.

De toute évidence, je suis congédiée.

Prenant une profonde inspiration, je quitte la pièce et le pas trainant, retourne à mon modeste espace de travail. Je m'assois ensuite bruyamment sur ma chaise de bureau et ne lâche pas des yeux l'enveloppe entre mes mains. Avec des doigts tremblants, je l'ouvre pour en sortir le carton d'invitation. Ce dernier est aussi noir que son contenant et cette couleur sombre me noue l'estomac. J'espère que ce n'est pas un présage de ce qui m'attend. Mes yeux se dirigent ensuite vers les lettres calligraphiées en blanc sur le carton.

Avec nervosité, je lis les quelques lignes.

« L'heure est venue d'entrevoir un nouveau monde.

La fête de l'équinoxe du printemps est une tradition sérieuse que nous serions ravis de partager avec vous. Celle-ci changera votre vie à tout jamais. L'heure est à la magie et l'aventure. Venez nous rejoindre et découvrir ce qui se cache de mieux en Faerie.

Nous vous attendons avec impatience ».

Mon souffle se coupe et les battements de mon cœur s'accélèrent brusquement en terminant ma lecture. J'ai vraiment un mauvais pressentiment et pourtant, je refuse de laisser passer cette opportunité. Je souhaite à tout prix éviter le regret de ne pas avoir saisi cette chance. Hors de question pour moi de laisser ma peur être un obstacle. Rassénérée, je me motive silencieusement.

Plus de retour en arrière. C'est décidé, je pars en Faerie ! J'espère simplement ne pas commettre la pire erreur de ma vie, car j'ai bien l'intention de survivre à ce périple.

Sombre FaerieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant