La mélodie du bonheur

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Il rompt notre connexion pour s'emparer de baguettes chinoises. Il saisit un maki au thon rouge. J'ouvre la bouche et le laisse me nourrir. Une alarme que je connais que trop bien s'enclenche dans ma tête. Je ne devrais pas le laisser s'immiscer si profondément en moi, si vite, et s'il finissait par me faire souffrir lui aussi, mais j'étouffe cette petite voix. West est différent. Je le sens et préfère me fier à mon intuition.

― Comment s'est passé ton rendez-vous à Greenwood ?

Sa question provoque un élan d'enthousiasme en moi.

― Magnifiquement bien ! Ce domaine est un lieu d'exception et un véritable bijou d'architecture. J'ai hâte de proposer au propriétaire mes dernières réalisations pour la déco.

Je lui explique le côté touchant d'Allan qui souhaite respecter les dernières volontés de son défunt mari alors que c'est loin d'être à son goût. West reste attentif à mes explications tout en nous préparant un cocktail sans alcool. Je m'empare d'une mini-brochette de yakitoris et croque une bouchée avant de poursuivre.

― Je sais que je dois respecter tous ses désirs, mais j'ai aussi envie qu'il s'y sente bien. C'est le genre de défi que j'aime relever !

― Tu es une femme passionnée. C'est ce que j'aime le plus chez toi, me révèle-t-il en posant le cocktail devant moi.

Il n'a pas dit j'apprécie. Il a dit j'aime, et ça me plaît. Je découvre à l'intérieur du verre des myrtilles. Je croise son regard entendu. Il sourit et m'explique :

― Je sais que tu les adores, tu me l'as dit à l'hôpital.

Il s'en souvient alors que c'était il y a quatre mois. Une vive émotion s'immisce au plus profond de moi. Je goûte le cocktail et aime le goût acidulé du fruit et du citron vert, accentués par les feuilles de menthe.

― C'est délicieux. ! Et ton rendez-vous avec l'agent, raconte-moi ?

― Ça s'est plutôt bien passé.

Il m'explique toutes les retombées bénéfiques de la venue d'une célébrité du jazz telle qu'Ella Shaw qui est une fan de Nouna. Son nom ne me dit rien. Il intercepte mon air confus et se déplace jusqu'au jukebox pour sélectionner un de ses albums, le meilleur selon lui. Je termine ma brochette et c'est dans cette atmosphère feutrée et intime que je découvre une voix profonde et riche, aux nuances douces et mélancoliques, capable d'exprimer une gamme d'émotions qui me file la chair de poule. Nous dégustons chacun des mets sur le comptoir dans une bulle hors du temps. Une bulle que je n'ai aucune envie de quitter.

Je monte sur la scène et caresse du bout des doigts la trompette.

― Tu sais jouer de tous les instruments ?

― Yep. Mais j'ai une préférence pour la guitare et la contrebasse.

Je désigne cette dernière de l'index, curieuse d'en découvrir le son.

― Tu peux me jouer un morceau ?

Il passe une main dans ses cheveux, accentuant l'effet décoiffé. Il me rejoint et j'en profite pour glisser, à mon tour, mes doigts dans sa chevelure. Juste pour le plaisir du geste, et peut-être aussi parce qu'ils fourmillaient d'envie de le toucher. Un sourire s'épanouit sur ses lèvres. Il aime mon attention. Il s'assied sur une chaise et cale le manche contre son épaule. Je m'installe sur le banc du piano et m'imprègne de la mélodie. Ses doigts frottent et pincent les cordes avec une telle aisance que je me perds dans sa contemplation. La sonorité grave et profonde des notes qui résonnent dans la salle m'hypnotise. Je ne vois plus que West, qui ne fait plus qu'un avec l'instrument. Il touche une corde sensible en moi et les larmes aux yeux, quelques-unes, rebelles, dévalent mes pommettes.