Suite

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Je compose son numéro, prêt à le recomposer si nécessaire. Il finit par décrocher.

― Qu'est-ce que tu veux ? s'impatiente-t-il. J'ai du boulot, là !

― Bonjour à toi aussi, frangin.

Je récolte son silence pour toute réponse. La suite promet !

― Kris ne se sent pas assez en forme pour ta fête de demain.

― Quoi ?! Comment ça ?... Elle est malade ?

― Non. Elle ne se sent pas prête à voir autant de monde.

― Kristen adore faire la fête.

Sa conviction m'arrache une grimace fataliste. Je fourrage une main dans mes cheveux.

― Elle adorait. Plus depuis...

― Qu'elle vit à New York ? m'interrompt-il d'un ton tranchant. Mais qu'est-ce que tu es encore allé lui foutre dans le crâne ? !

― C'est sa décision, Liam, tempéré-je d'une intonation calme. On a essayé de la raisonner, mais cette fête la met dans tous ses états.

Son souffle agacé résonne dans mon oreillette.

― Je ne peux pas annuler au dernier moment ! C'était aussi l'occasion de nous faire un coup de pub. Je ne sais pas si t'es au courant, mais ici, la concurrence est rude. Chaque jour, je me bats pour la survie du Moriarty's.

Oui, je sais, tout ça, c'est grâce à toi !

Je m'abstiens de lui dire, sinon c'est la dispute assurée. Il faut toujours qu'il exagère, les affaires familiales se portent bien. C'est juste un prétexte pour me rappeler qu'on ne peut compter que sur lui, l'aîné de la famille.

― Je m'occupe de prévenir les invités si tu veux.

― Ouais, ricane-t-il. On peut toujours compter sur toi quand ça devient compliqué.

Je fixe l'écran et m'aperçois qu'il a raccroché. Je me frotte le menton et songe que nos retrouvailles à Noël n'augurent rien de bon.

Je déambule dans le parc historique de Jackson Square avec l'intention de me détendre. C'est en face de la cathédrale Saint-Louis que j'ai donné rendez-vous à Elijah. En l'attendant, mon attention se porte sur deux comédiens qui s'animent autour d'un cercle de badauds et de touristes, ils dépeignent de vieilles superstitions de la ville. Je souris, même si je les connais par cœur, je ne peux m'empêcher d'écouter les histoires de vaudou et de fantômes qui hantent les ruelles du Vieux Carré.

Des doigts m'enserrent les épaules avant qu'Elijah me fasse face, un large sourire aux lèvres :

― C'est cool de te revoir ici !

― C'est bon de revenir au bercail.

On se tape dans la main, comme si on s'était quittés la veille, alors que l'on ne s'est plus vus depuis neuf mois, lors de ma dernière visite.

― Suis-moi, m'enjoint-il. J'ai une pépite à te faire découvrir !

― Une seule ! Tu me déçois, raillé-je.

Il me provoque d'un haussement de sourcil joueur.

― Ce soir, je dîne au Tujague. Et devine qui va payer l'addition ?

Moi. Ses découvertes valent à chaque fois la peine.

― Pari tenu.

Je m'esclaffe et le suis à travers une marée noire de monde. On s'engouffre dans un labyrinthe de ruelles étroites, presque désertes. Mon ami est un créole installé à la Nouvelle-Orléans depuis six générations. Cette ville n'a aucun secret pour lui. Elijah est un féru de musique de jazz, mais son kiff à lui c'est le R&B et le funk. Il a constitué son propre réseau et aucun nouveau talent ne lui échappe. Son émission de radio est une des plus écoutées dans tout l'État de la Louisiane. Son intégrité n'est plus à prouver. Il était fan de Nouna depuis toujours et surtout depuis qu'elle la fait entrer dans le cercle fermé des agents artistiques. Lenny, un ami de Nouna, l'a pris sous son aile. Il connaît toutes les ficelles et continue à m'en faire profiter.

La mélodie du bonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant