Je me tenais debout face à la grise toujours allongée au sol. Elle me jeta un regard mauvais mais savait que j'avais raison. Elle ne méritait pas l'énergie d'Erictho et elle n'avait plus aucun recours pour dominer Galinor la déchue. Je jubilais. Pour une fois que Mircée n'avait plus rien de cinglant à dire, j'en profitais un peu :
-"À mon avis, votre sanctuaire connaît ta vraie nature et il sait que Galinor, bien que rejetée par ses paires, vaux mieux que toi comme première sœur. Il ne te laissera jamais la dominer dans le cercle. Ton combat contre Galinor est déjà perdu d'avance. Et si tu n'as plus rien à me demander, je retourne auprès des miennes. À une prochaine fois, Mircée." Lui lançais-je comme une dernière provocation.
Toujours vautrée au sol, elle hurla sous le dôme silencieux qu'elle avait elle-même créé à notre arrivée. Son cri se perdit dans le silence de la nuit dès que j'en eu franchi la limite. Sur le chemin du retour, je me sentis plus vivante que d'habitude, sûrement dû au fait que j'avais réussi à rabattre le caquet à la grise. Mais Mircée avait soulevé un point essentiel durant notre rencontre.
J'avais bafouée la réputation de Galinor qui avait été rejetée de sa caste par ma faute. Je l'avais oublié, la laissant seule se battre contre la noirceur de mon mensonge. Si une sœur m'avait fait subir le même sort que je lui avais infligé, j'aurais, moi aussi, préparé une horrible vengeance. Galinor était dans son droit, à moi de me tenir prête à relever dignement son duel.
Je m'attendais, le lendemain, à ce que Tiziris me fasse des remarques sur ma rencontre de la veille, mais rien. Tiziris poursuivait mon entrainement au combat sans un mot et j'étais toujours aussi libre de mes mouvements le reste du temps. Faisait-elle semblant d'ignorer ce qui c'était passé entre moi et Mircée ou bien n'avait-elle pas vérifié mes pensées comme je le soupçonnais ?
Je surveillai ma marraine quelques jours durant en espérant qu'elle continue de ne faire aucune allusion à Mircée. Tiziris ne s'occupait plus que très brièvement de ma formation et semblait préoccupé. Je la vis régulièrement s'isoler avec Ashera dans son bureau et aucun son n'en sortait. L'une d'entre elles avait placé la salle sous un envoûtement spécial. Les voyant toutes deux se réunir en cachette, mon esprit ne pouvait s'empêcher de penser une nouvelle fois aux insurgées....
Un matin où je m'étais réfugiée dans la salle des écritures, un faible son de cor retentit dans toute la pièce et vint interrompre mes révisions. Je retournai vers la salle principale des tueuses et vis certaines de mes sœurs, debout, pour mieux percevoir l'origine du bruit. Il semblait venir du centre du sanctuaire principal. J'entendis alors Neith dire d'un air provocateur :
-"Qu'est-ce qu'elle nous veut encore, Hérodiade la folle ?"
La remarque de Neith me surprit et je scrutais sa peau à la recherche d'une marque... Voyant mon regard s'attarder sur Neith, une des sœurs proche d'elle lui donna un coup de coude dans les côtes et elles s'éloignèrent toutes les deux. Je ne comprenais pas pourquoi Hérodiade n'avait pas utilisé le murmure pour nous convoquer.
Les sœurs prirent leurs affaires et se rassemblèrent dans un brouhaha de questionnements et de contestations. Une ancienne ironisa qu'Hérodiade n'avait pas besoin de sa présence puisqu'elle était suffisamment entourée. Cette remarque fit rire certaines d'entre nous mais un simple regard rouge d'Ashera fit taire les commérages.
La vieille finit par se lever de son siège. Sortant du sanctuaire des tueuses, je vis de loin que le rassemblement n'avait pas lieu comme à l'habitude dans la salle des milles mots mais dans un autre bâtiment du sanctuaire principal. Les sœurs Fluctuantes convergèrent vers le nid. Les étages, le dortoir et le réfectoire étaient submergés par les sorcières qui s'agglutinaient, tels des insectes, sur les rambardes gravées d'or et se penchaient dans le vide.
Pour être au plus près de l'agitation, des vivaces escaladaient les énormes poteaux de soutien et y avaient planté leurs ongles et leurs armes pour être sûr de ne pas y être délogé. Le parquet rouge craquait et grinçait sous le poids de mes nombreuses sœurs. Elles se poussaient et essayaient de se trouver un point de vue en direction du nid.
L'énorme cratère rempli de flux et des sphères de naissance était entouré par des cryptomanciennes vêtues de leur robe noire de cérémonie dont les capuches tombaient jusqu'à la moitié de leur visage. Seule Manata avait relevé les pans de tissu qui aurait pu nous épargner la vision de sa figure repoussante. Son unique œil bleu balaya la foule à la recherche de quelque chose ou de quelqu'un...
Je réussi à me dégager un chemin dans cette masse compacte et étouffante. Je dû jouer des coudes et des épaules pour atteindre un poteau encore à moitié inoccupé. Une vivace élite, déjà perchée sur la colonne de bois, grogna et grimpa un peu plus haut pour me laisser de la place. Je m'y installai à mon tour et compris enfin de quoi il s'agissait.
Les Naissances ! Certaines sphères étaient en grandes agitations et roulaient les unes sur les autres avec violence. Celles qui étaient amenées à éclore pour ce cycle tentaient désespérément de rejoindre la surface du nid. Je m'aperçus que déjà certaines futur-nées avaient éventré leur membrane protectrice et tentaient de ramper par-dessus les autres globes.
Une première petite donnait des coups acharnés avec son dard pour remonter à la surface du nid. Elle réussit à planter ses petites griffes encore transparentes dans la paroi du cratère et s'y extirpa péniblement. Dans un ultime effort, la petite se tira jusqu'au sommet et se laissa tomber aux pieds de la vieille Manata.
-"Nouvelle-née !" Cria l'ancienne cryptomancienne qui la ramassa aussitôt.
La vieille l'a prit par le pied et la suspendit dans les airs pour la montrer à tout notre clan. L'enfant dégoulina d'une substance aqueuse et grasse qui forma rapidement une flaque en dessous d'elle. Une autre cryptomancienne au visage couvert récupéra la petite et l'entoura dans un linge blanc. La cryptomancienne et l'enfant s'éloignèrent sous des claquements de langues de la foule pour lui souhaiter la bienvenue.
Autour du nid, je remarquais la présence de mes anciennes sœurs de temple. Samzun et Ismène arboraient fièrement leurs tatouages d'élites, une forme d'arbre aux racines qui descendaient jusqu'à la naissance du cou, et Vantimille, portait au menton celui des coureuses-réceptacles, une forme de boucle où les symboles de l'énergie, de la vitesse et de l'infini y avait été inscrit.
Je scrutai l'assistance et vit dans un coin plus reculé Meïsanne et Mircée. La grise détourna les yeux lorsqu'elle me reconnut. Les souvenirs de notre dernière conversation mouvementée sous l'arbre aux mortes devaient lui revenir en mémoire, tout comme sa honte. Quant à moi, la revoir me rappelait que j'avais des choses à régler avec Galinor. Je cherchais des yeux l'élémentaire déchue lorsqu'un cri me détourna de mon but :
-"Regardez cette petite ! Dit une redoutable en pointant du doigt une futur-née dans le nid. Elle fera bien une future redoutable ou une future tueuse que ça ne m'étonnerait pas !"
Je vis alors, au centre du nid, une petite créature se débattre dans sa sphère. Elle avait l'air chétif et je pouvais voir une partie de ses os et de ses organes bouger sous sa peau grise encore transparente de nouvelle-née. Seul son dard avait réussi à percer sa membrane et éventra au passage une ou deux nouvelles-nées à peine sorties de leur sphère.
La petite sortit ses griffes et perça enfin son cocon. Elle se dégagea difficilement de son globe et se traîna sur les corps sans vie de ses sœurs. Le liquide aqueux qui lui collait à la peau se mélangea au sang de ses victimes. Son visage m'était à moitié caché mais elle était déjà très déterminée. Elle allait être une sorcière puissante à n'en point douter pour l'avenir.
D'un seul coup, je me sentis mal. Elle venait de se retourner vers moi et je vis son visage pour la première fois. Tout le côté gauche du haut de son crâne était effroyablement déformé et un trou béant se trouvait à la place de son œil. Son œil gauche quant à lui, presque aussi étrange, était d'un blanc laiteux.

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Les chroniques des Fluctuantes
Übernatürliches"Dans un monde de sorcières avides de pouvoir, une faille et tout bascule. " /!\ ATTENTION HISTOIRE POUVANT HEURTER LA SENSIBILITE /!\ Les dieux ont décidé de jeter une malédiction sur les trois clans de sorcières. Les Fluctuantes, les Obscures et...