Les chroniques des Fluctuantes

Chapitre 7 Les nouvelles Fluctuantes partie 12

J'étais restée assise près de l'eau un bon bout de temps lorsque je décidai enfin de rentrer au sanctuaire des tueuses. La dernière attaque sournoise de Tiziris, tout comme ses propos et ses souvenirs m'avait vidé et je n'aspirais pour l'heure, qu'à un peu de tranquillité pour chasser mes idées noires.

 La nuit s'était déjà installée depuis longtemps et je savais que demain allait être une dure journée. Il me faudrait combattre Tiziris à l' entraînement une fois de plus, mais avec ce qu'elle venait de me révéler ce soir, j'étais prête à parier qu'elle ne me laisserait pas me défendre si facilement.

Je m'étais assez retourné le cerveau pour cette nuit. Aucune échappatoire ne me serait permise. Quand l'heure sera échue, il ne me resterait plus qu'à me battre corps et âme pour ne pas disparaître à jamais. J'avais besoin de me ressourcer pour devenir l'une des meilleures, et vite.

Les pontons étaient désormais vides et quelques sorcières tremblantes aux yeux révulsés subissaient encore les derniers effets de l'alcool de pénata. Je pris un chemin qui m'emmena vers la forêt et mes pieds s'enfoncèrent dans une eau boueuse. J'avais l'impression de porter sur mes épaules tout le poids de la grande menace.

 J'appréhendais ce qui allait m'arriver. Je savais que ce n'était pas qu'un simple tatouage mais un ordre gravé à même ma peau, une volonté d'énergie contre laquelle je ne pouvais pas lutter. A la moindre pensée contre cette prédiction, je sentais l'énergie de Tiziris me parcourir furieusement la colonne vertébrale et déclencher des éclairs de douleurs vives. 

Plus mes idées étaient élaborées, plus la douleur était forte et me rappelait à l'ordre. En autorisant une nouvelle fois Tiziris à me manipuler, j'avais signé un pacte avec le diable.

Je me dirigeais vers les grottes de l'oreille noire lorsque j'entendis des bruits de craquements secs et de succions près de moi. Je fis un léger détour pour connaître leur origine. Je réussi à distinguer le dos voûté de la vieille Manata penchée sur une masse informe.

-"Qui est là ? Montre-toi, petite insolente !"

Manata renifla une ou deux fois l'air en quête d'une odeur connue. Je m'accroupis aussitôt pour que la légère brise du soir n'emporte pas mon odeur jusqu'à ses horribles narines. Je me cachai derrière un tronc d'arbre tout en priant Thanatos de garder son voile obscure sur moi. La vieille cryptomancienne répéta sa question comme un chien qui aboie mais je me concentrais pour lui dissimuler ma présence. 

Elle resta quelques minutes le nez en l'air pour découvrir qui l'épiait. Je l'entendis ricaner et grommeler que de toute façon elle n'avait rien à cacher tout en lançant au passage une volée de jurons. Je me penchai discrètement pour l'observer après m'être assurée qu'elle était retournée à sa besogne.

Manata était accroupi dans l'herbe boueuse et rongeait une masse informe et molle. Je ne compris pas de suite de quoi il s'agissait jusqu'à ce qu'un coup de dents planté plus violemment fasse basculer un petit bras à moitié rongé. Elle le remit en place et le porta à sa bouche, continuant ses horribles bruits de sucions et broyant les os avec ses dents pourries.

 La vieille Manata se livrait à son habitude de « dépouilleuse ». Jusque-là, je n'avais jamais su si tout ce qu'on racontait sur elle était vrai ou servait à effrayer les jeunes novices. La voir faire, juste devant moi, me souleva le cœur.

Manata était plus proche des Obscures que je ne le pensais. Les trois nouvelles-nées qui n'avaient pas survécu à l'épreuve de l'éclosion n'auraient pas le droit à une place dans l'arbre aux mortes.