Chapitre 5 Renaissance - partie 5

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Pour avancer, je n'avais pas le choix. Il me fallait absolument les connaissances de Tiziris car, j'ignorais aussi tout des intentions de cette autre marque. Cette sœur qui restait dans l'ombre ne me disait rien de bon, même si elle m'avait aidé jusque-là... Que me demanderait-elle en échange de sa puissance ? De sa protection ? Avec le niveau de Tiziris, j'aurais peut-être une chance de tirer mon épingle du jeu mais sans son savoir, je ne resterai qu'une simple marionnette tiraillée entre ma marraine et des mains inconnues. Je savais au moins qu'il m'était facile d'argumenter avec l'une des deux. 

Tiziris me sourit de toutes ses dents pointues et approcha sa lame de mon cou. Une douleur atroce me parcourût lorsque son énergie entra une nouvelle fois au contact de la mienne. Elle était d'une essence plus sombre et mon corps entier refusait cette intrusion. Je n'avais d'ailleurs toujours pas réussi à fondre l'énergie d'Erictho à celle que je possédais naturellement. Ajouter une autre essence étrangère me mettait le corps en vrac. 

Je ne pus m'empêcher de vomir sur le sol en attendant que ma marraine retire sa lame de mon cou. Elle me regarda me relever difficilement et d'un coup, je sentis son esprit forcer le mien avec une telle rapidité et une telle violence que je ne pus rien y faire. Je revoyais en détails comment j'avais tué Erictho lors de l'épreuve des castes et comment Galinor et moi, sur un simple regard, nous étions juré de ne rien dire, sans prononcer aucun serment. L'esprit de Tiziris se retira aussi vite qu'il était venu. Ma marraine ne souriait plus. Elle me fixait en fronçant légèrement des sourcils :

-"A deux contre une, sans annonce de duel... Et aucun pacte ? Comment vas-tu gérer ça, petite Meora ? Si tout cela se sait, tu risques très gros... Ce sera la mort ou le bannissement."

Ses yeux jaunes se firent durs. Elle connaissait l'ampleur de mon déshonneur et de mes mensonges. Dans quelques mois, mes sœurs tueuses attendraient la mort inévitable de Galinor pour savoir si j'avais dit vrai.

-"Je suis ta marraine, je n'ai pas à juger ce qui a été fait avant ton arrivée dans notre caste. Mais saches que si jamais cela se reproduit, je ne te couvrirais pas pour de tels actes infâmants... Il en va de notre réputation. Et je ne t'aiderai pas plus à régler les problèmes qui vont en découler."

Ses mots me frappèrent comme une insulte. Tiziris appuyait là où ça faisait mal. Je tenais à mon intégrité et je préfèrerais mille morts que le bannissement des traîtres.

-"Je me débrouillerai !" dis-je avec colère.

Elle avait profité de ma faiblesse pour tester ses nouveaux pouvoirs sur moi et je ne supportais pas qu'elle me juge. Je me sentais déjà si faible de n'être qu'un pantin pour elle et qu'elle puisse accéder quand bon lui semble à mes secrets, je ne voulais pas non plus lui donner la permission de diriger ma vie. Tiziris me fixa longuement, prête à me donner des conseils que je n'écouterais probablement pas mais elle se ravisa :

-"Très bien, comme tu veux. Au fait Meora, si tu veux savoir pourquoi tu es si faible aujourd'hui, je te conseil de regarder ton dos... et tu ferais bien de dormir après."

Tiziris s'éloigna de moi et me laissa seule dans la salle de repos des tueuses. Je ne voyais pas en quoi mon dos pouvait être à l'origine de mon manque d'énergie mais je voulu savoir à quoi elle faisait allusion. Je relevai ma tunique de cuire sombre jusqu'au cou et me plaçai dos au miroir.

 Entre mes deux omoplates, se trouvait une ligne de symboles qui racontaient comment, encore sans caste, j'avais mise à mort une de mes ennemies du temple du bouc dans un duel officiel. Mon cœur se serra. Je devrais porter ce mensonge toute ma vie, à jamais gravé dans ma peau. Cette ligne était perpendiculaire à une autre qui s'étalait le long de ma colonne vertébrale. Ce que j'y lu ensuite me glaça le sang.

Impossible. Tout ceci devait être un cauchemar. L'image de mon dos me soulevait le cœur. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Mon cœur palpita dans ma poitrine tel un oiseau en cage. Des suées froides dégoulinaient sur mes tempes. Je paniquai. Je me sentais oppressé et trop à l'étroit dans cette pièce. Je voulais fuir. Je voulais des réponses. 

Tiziris ! Tiziris savait pourquoi. Je devais la rattraper pour lui demander des explications. Je me ruai vers la porte mais celle-ci avait été close par un sort. J'enrageai et trouva comme seule exutoire de donner des grands coups de pied dans le montant en bois. J'hurlai pour appeler ma marraine mais aucune réaction ne se fit de l'autre côté. 

Tiziris m'avait enfermée pour que j'accepte mon sort. Il en était hors de question ! J'hurlai de plus bel et pleura pendant des heures jusqu'à ce qu'une fatigue lourde m'écrase totalement. Je me sentais abandonnée et me traîna jusqu'à la cuvette d'énergie que ma marraine avait creusé. Une fois de plus, Tiziris c'était joué de moi et j'allais en payer le prix.

Elle me laissa dans cet état plusieurs jours et je la soupçonnais d'avoir placé un mur silencieux autour de la pièce pour empêcher quiconque de se rendre compte de ce qu'elle me faisait subir. Elle pénétrait régulièrement mon esprit pour savoir quand je me serais résigné à mon sort. J'avais beau lutter contre elle, la maudire chaque jour, je me réveillai chaque matin toujours désespérée par ce que j'avais vu dans le miroir. Même si l'énergie de Therggia m'avait ressourcée et que la colère avait fait place à une soumission forcée, mon esprit n'était pas calme. 

Je n'avais pu m'empêcher de vérifier régulièrement si les marques étaient toujours là, et à mon grand malheur, les traits sombres parcourant mon dos délivraient toujours leur funeste message. Tiziris pénétra une nouvelle fois mon esprit pour m'indiquer qu'elle venait enfin de lever le sort de la porte et se retira aussitôt sans que je ne puisse lui poser la moindre question. Quelque chose en moi me hurlait de garder ça secret pour ma survie. 

J'étais en colère contre elle et je n'abandonnerai pas si facilement. Je voulais des réponses. Je me recoiffai assez vite et replaçai mes anneaux de protection dans mes cheveux blancs. J'en coinçais certains dans de fines tresses que je venais de faire. Je ne pouvais m'empêcher de triturer l'anneau d'or que je portais sur le cartilage de mon oreille, comme une vaine tentative pour me rassurer. Il était temps d'affronter ma caste et ma marraine.

En poussant la lourde porte de bois, tout semblait normal. Il n'y avait que moi qui me sentais différente. Je voulais retrouver au plus vite Tiziris et me dirigeais vers le centre du temple des tueuses. Mon désespoir s'était muée en une colère meurtrière dirigée contre ma marraine. Il fallait que je la trouve dès aujourd'hui ! Certaines de mes sœurs étaient réunies et mangeaient autour de la grande table centrale, tandis que d'autres s'étaient regroupées en petit comité. 

Je balayais la pièce du regard. Pas de Tiziris. Une colère sourde s'éleva aussitôt dans ma poitrine. Me fuyait-elle ? Osait-elle vraiment me manquer de respect à ce point-là ? Les tueuses présentes parlaient toutes à voix basse et je m'installais à une des tables, bien décidée à l'attendre de pied ferme. Allais-je l'apostropher devant toute notre caste sur ce qu'elle m'avait fait subir ou lui lancerais-je ma précieuse hache directement dans la tête ?

Des regards se posèrent sur moi, sur mon menton et je cru même, sur mon dos. J'avais l'impression que toutes mes sœurs savaient ce que je portais. Lourd de sens, le tatouage ne me rassurait en rien et je ne voulais faire aucun commentaire dessus. Mon visage fermé avait rebuté quelques sœurs qui s'étaient approchées de moi pour engager la conversation. Pour l'instant, la seule personne à qui je voulais parler restait ma marraine. Avoir un tatouage au menton était déjà une source de fierté mais je n'avais pas encore envisagé d'en porter sur mon dos. J'aurais voulu en être heureuse et me pavaner devant mes anciennes sœurs de temple alors qu'en réalité, j'espérais seulement que peu de personne ne l'ait vu. 

Ce tatouage me pesait comme un tas de pierre que j'allais devoir porter pour le reste de ma vie. Non seulement la première partie indiquerait à toutes les autres Fluctuantes que j'avais bien tué Erictho, au risque d'être dénoncé à Hérodiade mais en plus, la seconde partie était encore plus grave et me ferait subir une mort lente et douloureuse. Je venais d'être maudite. Et tout cela à cause de Tiziris la fourbe...

Les chroniques des FluctuantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant