Une overdose. Encore.
Quand le Samu l'avait appelé ce matin en pleine réunion, Nicole Atkins avait tout de suite deviné de quoi il s'agissait. Troisième appel ce mois-ci, le dixième depuis que le printemps était arrivé. Des coups de fils répétitifs, mais une seule cause : sa fille.
Nicole avait reconnu la voix nasillarde et blasée de la jeune infirmière qui se chargeait de la tenir au courant à chaque fois que sa fille se retrouvait à l'hôpital. Elle était gentille, cette infirmière, même si elle avait un piercing au nez et un tatouage sur l'épaule gauche. Elle devait avoir l'âge de sa fille. Le genre de femme qui était sortie de la jeunesse parce qu'elle en était dégoutée. Parce qu'elle avait déconné et qu'elle avait voulu s'en sortir. Maintenant, elle soignait des gosses perdus entre les effluves de l'alcool et les vapeurs de cannabis. Des gosses comme sa fille.
Nicole avait coupé court à sa réunion pour se rendre à l'hôpital, bien décidée cette fois-ci que ce serait le dernier trajet qu'elle ferait. Elle gara sa voiture en face du bâtiment gris, qui ressemblait plus à une prison qu'à un centre de soin. Elle saisit son sac et se dirigea d'un pas rapide vers la porte. La jeune infirmière se trouvait là, un carnet à la main, des lunettes aux branches rouges aux imprimés crocodiles sur le nez. Elle leva un sourcil quand elle vit Nicole. Toujours ce tailleur gris trop grand pour elle. La vieille avait de la chance d'avoir de la ligne à son âge.
"-M'dame Atkins ? Votre fille est chambre...
-Je sais" coupa Nicole.
Elle connaissait le refrain. "Votre fille est chambre 28, deuxième étage, premier couloir sur la droite. Si vous avez besoin de renseignements supplémentaires, adressez-vous à l'accueil." Dixième fois qu'on lui chantait cette chanson entêtante. Dix fois de trop.
Elle entra dans l'hôpital et prit l'ascenseur. Elle vit le personnel qui la dévisageait. Elle sentit les rougeurs de la honte prendre l'assaut de ses joues. Que devaient-ils penser, ces gens-là ? Qu'elle devait être une bien mauvaise mère pour laisser son enfant dans un pareil état pour la dixième fois en à peine trois mois. Oh oui. Une mauvaise mère bien trop influençable et impuissante.
Nicole arriva enfin à la chambre de sa fille. Elle poussa la petite porte beige qui sentait les pansements, la morphine et la mort. Comme l'ensemble de cet hôpital.
La chambre était composée d'une table de chevet, d'un placard et d'un lit. Dans ce lit reposait une jeune fille brune, les yeux clos, les bras recouverts de pansements, la bouche légèrement entrouverte, le nez relié à des tuyaux. Sa fille, Clélia.
Nicole soupira. Sa fille restait belle malgré tous ces attirails. Elle pouvait distinguer ses yeux bleus sous ses paupières fermées, ses dents blanches, les os de sa peau sous les draps épais et ses petites mains fines, avec ses longs ongles maquillés. Quel gâchis.
Elle s'assit sur une chaise. Doucement, elle saisit la main de sa fille et la caressa. Voyant que sa fille ne se réveillait pas, elle lui pinça un doigt. Clélia eut un sursaut. Elle ouvrit tranquillement les yeux, mais les gardait mi-clos, comme si elle était éblouie par la blancheur des murs de sa petite chambre. Elle tourna la tête en direction de sa mère, la reconnut et esquissa un sourire faible. Elle murmura :
"-Salut, m'man.
-Bonjour, Clélia."
Nicole essaya de paraître le plus dur et sévère possible. Cette fois, elle voulait que sa fille comprenne que c'était le dernier séjour qu'elle passait dans cet hôpital. Qu'il était temps que tout s'arrête et qu'elle se prenne en main. Elle ne pouvait plus laisser passer ça.
Elle inspira profondément.
"-Une overdose, c'est bien ça ?"
Clélia eut un geste agacé.
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Le Cercle des Douze Disciples
Mystery / ThrillerClélia est une adolescente de dix-huit ans à problèmes. Pour l'éloigner de la drogue et des autres tentations dans lesquelles elle tombe petit à petit, sa mère Nicole l'envoie passer l'été chez Sibylle, son extravagante tante qui pratique la voyance...