Le Cercle des Douze Disciples

Chapitre 12 : Le dernier repas

Sibylle avait le visage recouvert de pansements. Ses yeux étaient mi-clos. Son souffle saccadé accentuait la gravité de l'état dans lequel elle se trouvait. Des tuyaux l'aidaient à respirer.

Clélia suffoquait. Elle avait l'impression de se trouver devant son reflet. Il y a à peine un mois, elle se trouvait dans la même position que sa tante. Etendue impuissante dans un lit, les bras tremblants, le corps frêle, la bouche sèche et sa mère, Nicole Atkins, qui la regardait d'un air désolé qu'elle tentait de rendre plus sévère. Elle se revit entre la vie et la mort, après une surdose de cocaïne, se demandant si la silhouette qui se trouvait devant elle était réelle, ou si c'était une vision, s'il s'agissait encore d'un cauchemar.

Clélia Atkins avait l'impression que les rôles avaient été inversés et pour la première fois de sa vie elle eut de la compassion pour sa mère. Elle comprit ce mélange de culpabilité et d'incompréhension que Nicole devait ressentir à chaque énième visite, quand elle voyait sa fille étendue sur ce lit, livrée à elle-même et sur le point de mourir. Elle se sentait coupable parce qu'elle se considérait comme en partie responsable du départ de Sibylle à l'hôpital. Mais elle en voulait à sa tante car elle savait qu'elle lui cachait quelque chose de grave.

"-Clélia..."

Sibylle esquissa un sourire. Clélia le lui rendit. Elle fut submergée de joie en voyant que sa tante allait mieux. Du moins, elle avait l'air d'être dans un meilleur état. La persistance de son sourire prouva à Clélia qu'elle resterait vivante. C'était impossible qu'elle s'en aille. Ca n'aurait pas pu en être autrement.

"-Sibylle, je... Je suis sincèrement désolée de tout ça. Nous aurions dû être plus prévoyantes... Je... J'aurais dû intervenir. Je te demande pardon, sincèrement..."

Clélia sentit les larmes couler sur ses joues. Elle les essuya d'un geste brusque. Elle n'avait jamais pleuré autant. Du moins, cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas été dans cet état.

"-Tu n'aurais rien pu faire, Clélia. Ces... Ces hommes sont trop forts. Personne ne peut les vaincre seuls... Sibylle se redressa légèrement. Il faut que tu comprennes qu'une prédiction n'est pas modifiable, Clélia. L'avenir est tracé. Nous ne pouvons pas nous écarter de la route qui nous mène là où nous devons aller. Si le destin a voulu que je subisse cette agression ce soir, c'est qu'il doit y avoir une bonne raison à cela.

-Mais... Quelle raison pourrait-il y avoir à te vouloir du mal ? Personne ne peut détester une femme comme toi... Clélia tenta d'étouffer les sanglots qu'elle avait au fond de la gorge. Tu es... Tu es la personne la plus gentille que j'ai jamais connue. Je ne peux pas concevoir le fait que quelqu'un puisse te vouloir du mal."

Sibylle tendit la main vers Clélia.

"-Approche... Tu es tellement intelligente, Clélia, mais tu n'as que dix-huit ans d'existence derrière toi... J'en ai cinquante-deux. Dans la vie, on rencontre des gens qui nous aiment, des gens qui nous soutiendront toujours. Mais il y a aussi des gens qui nous veulent du mal, qui veulent nous nuire. Et ces gens-là n'abandonnent jamais. Ils nous chercheraient jusqu'au bout du monde s'ils le pouvaient. En cinquante-deux ans, j'ai eu le temps d'affronter de nombreux ennemis. Et crois-moi, il y en a sûrement plus que tu ne le penses.

-Kurt est un de tes ennemis ?"

Sibylle ne répondit pas tout de suite. Elle fixait calmement sa nièce.

"-Oui, Kurt est un de mes ennemis, Clélia.

-Tu le connais depuis longtemps ?

-Depuis toujours. Sibylle sourit. Dans la vie, il y a différents types d'ennemis. Il y a l'ancien ami qui te trahit. Il y a le grand méchant qui veut tout détruire et qui te voue une haine totale, non seulement à toi, mais à la Terre entière. Et puis il y a ce rival que tu connais depuis l'enfance et qui ne t'a jamais aimé, et qui ne t'aimera jamais. Kurt est ce genre d'ennemi."