Chapitre 17 : La seconde prédiction

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"-Clélia, je ne crois pas que ça soit une bonne idée"

Le ton de Sibylle était ferme, catégorique et n'appelait à aucune réponse. Elle ne plaisantait pas. Ses yeux étaient froids, dépourvus de malice et d'amusement. Elle ne souriait pas. Les rides aux coins de ses lèvres tombaient sèchement. Elle avait l'air plus âgée, elle qui semblait si jeune et si vivante d'habitude. Mais son air sérieux la rendait plus intimidante, plus ferme, et plus inquiète.

Mais cela ne pourrait jamais suffire à Clélia Atkins quand elle avait une idée en tête.

"-Je pense que si."

Clélia croisa les bras, l'air décidé. Elle savait qu'elle prenait des risques en se confrontant à la vérité. Que ce qu'elle verrait se produirait. Qu'elle ne pourrait pas le changer. On ne change pas l'avenir. On n'échappe pas à son destin, comme l'avait dit Isaure. Ce qui doit arriver arrive toujours. Ce sont des choses écrites d'avance, des forces qui nous dépassent, que nous ne pouvons pas contrôler. Clélia savait tout cela. Elle savait qu'elle allait sûrement regretter ce qu'elle allait faire. Mais elle devait absolument savoir.

"-Clélia, tu as vu les effets d'un tirage de cartes. Ce que disent les cartes arrive toujours. Nous sommes impuissants face à ce qu'elles nous réservent. Je n'ai pas pu empêcher Kurt et ses hommes de m'agresser l'autre soir. J'ai vu que tu allais venir, et tu es venue. Chaque carte que j'ai tirée, chaque avenir que j'ai prédit a fini par se réaliser, dans un futur plus ou moins proche. Je t'ai dit que ce pouvoir avait des limites et qu'il pouvait s'avérer être dangereux. Le père Alexandre dit souvent que...

-...le pouvoir a toujours un prix, oui je sais, continua Clélia d'un air impatient et blasé.

-Je vois qu'il a eu l'occasion de t'en dire plus sur ta philosophie. Eh bien, malgré le fait que nous ayons de nombreux désaccords idéologiques lui et moi, je dois lui reconnaître un point. J'ai payé le prix fort des conséquences de ce don en étant envoyée à l'hôpital. Si je n'ai pas retiré depuis, c'est parce que j'ai bien compris qu'il ne fallait pas que j'en abuse. Tu sais, Clélia, lire l'avenir n'est pas rationnel. Cela bouleverse les lois logiques de l'univers et de la science. Le monde a besoin d'un équilibre. Imagine si tout le monde pouvait connaître son futur à l'avance. L'univers plongerait dans le chaos.

-Il ne s'agit pas de tout le monde. Il s'agit de moi."

Clélia ne comptait pas renoncer. Elle allait devoir tout donner pour parvenir à convaincre sa tante.

"-J'en ai marre d'être passive. Je l'ai été toute ma vie. J'ai été soumise à une existence et à des choix que je n'ai pas voulus. J'ai eu une mère qui ne voulait pas de moi, j'ai eu une adolescence difficile et très solitaire. Je vais mieux depuis que je suis ici, et c'est en partie grâce à toi. Mais c'est toujours la même chose. Je dois me laisser faire, alors que je sais que nous sommes en danger. Il y a des hommes qui rôdent près de chez nous, des hommes qui ont pour mission de tuer une femme que nous ne connaissons pas, que nous devons retrouver. Je ne veux pas passer mes journées dans cette chambre à me demander ce que vous faites tous en bas, ce que vous complotez. Je ne veux pas que ces hommes reviennent et te fassent à nouveau du mal. Je ne veux plus être spectatrice de cette sinistre mascarade. Je veux devenir une actrice."

Sibylle soupira, tandis que Clélia la fixait avec détermination. Elle n'allait pas céder. Elle le savait. Elle voyait que sa tante commençait à douter. Elle dont les réponses étaient d'habitude si spontanées cherchait ses mots. Elle tortillait même la ficelle de son sarouel d'un air dérouté.

"-Clélia, connaître ton futur ne te rendra pas plus indépendante. Tu en seras encore plus prisonnière. Tu seras confrontée au fait accompli, et il se déroulera devant tes yeux. Tu assisteras impuissante à une oeuvre qui était prévue depuis toujours, et que tu n'auras même pas vu venir.

Le Cercle des Douze DisciplesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant