Clélia n'osa pas sortir de chez elle pendant les deux semaines qui suivirent. Elle resta enfermée dans sa chambre, à fumer quelques cigarettes et à boire une ou deux gorgées de vodka quand elle se sentait mal. Elle avait parfois des crises de larmes qu'elle noyait dans un verre d'alcool. Elle sentait son addiction dont elle avait tant réussi à oublier pendant ce mois revenir au galop, comme un démon surgissant du passé. À chaque gorgée, elle se disait que c'était mal, qu'elle n'avait plus le droit de se détruire comme ça. Puis elle revoyait le visage paniqué de Sibylle et l'homme en noir s'enfuir en courant, le journal de Frère Jean sous son bras, et elle avalait la liqueur transparente sans états d'âme.
Quant à Sibylle, elle avait repris des couleurs. Elle n'évoqua plus la soirée agitée qu'elle avait eu devant sa nièce, ne parla plus de Frère Jean ni de l'homme en noir. Elle semblait joyeuse, et Clélia avait essayé tant bien que mal de décerner une touche d'inquiétude dans son regard perçant, elle n'y voyait que ce brin de malice curieuse et espiègle. Soit sa tante était une excellente comédienne, soit elle avait su faire abstraction de ses peurs. Abstraction pour la protéger, pour ne pas l'inquiéter ?
Clélia savait que c'était grave. Sa tante était une femme calme, posée, qui dominait toute sorte de situation avec une main de fer. Pourtant, le simple vol d'un carnet moyenâgeux par un mystérieux personnage vêtu de noir l'avait plongé dans une terreur sans nom. Et elle n'avait rien voulu dire. Comme si Clélia était mêlée, directement ou indirectement, à cette histoire.
Clélia tentait de ne plus y penser. Elle tentait d'oublier. Comme d'habitude. L'oubli était son meilleur ami dans les situations difficiles. Ne pas réfléchir. Juste se vider l'esprit et vagabonder silencieusement dans les vapeurs des nuages de la nuit. Mais son cœur restait serré par une incertitude, une angoisse poignante qui lui détruisait le cerveau.
Elle arriva à se calmer quand elle rencontra Stan.
Il faisait beau ce jour là. Clélia n'avait plus de cigarettes. Sa flasque de vodka était quasiment vide. Elle se rallongea sur son lit avec énervement. Elle ne savait pas ce qu'elle allait faire de sa journée. Il y a un mois, elle serait probablement aller fouiller dans le grenier de sa tante ou faire un petit tour du côté de l'église. Mais ça, c'était avant.
Aujourd'hui, elle avait juste peur de mettre un pied en dehors de la maison. C'est l'air frais qui traversa sa chambre qui la décida. Il fallait qu'elle sorte faire un tour. Ca lui ferait sûrement du bien.
Elle enfila un jean troué au niveau des genoux et un débardeur. Elle se regarda rapidement dans la glace de sa chambre. Elle avait encore maigri. Son visage et son corps cadavériques lui donnaient une allure de fantôme. Comme si elle était transparente, que personne ne pouvait la voir. Ses cernes creusaient son visage blanc comme un cachet d'aspirine et faisaient ressortir ses yeux bleus, seule trace de couleur sur cet ensemble pâle. Sans vie apparente.
Clélia descendit rapidement les escaliers. Sibylle était dans sa chambre, probablement en train de tirer quelques cartes pour se détendre ou se torturer l'esprit. Clélia essaya de ne pas faire de bruit. Elle ne voulait pas d'une discussion avec sa tante qui allait lui rappeler pourquoi elle n'était pas sortie depuis deux semaines.
Arrivee en bas, elle enfila ses baskets et ouvrit la porte. Nostradamus sortit de la maison avec elle, courant et aboyant avec joie. Clélia lui courût après en riant. Ses éclats de rire transpercèrent l'air pur. Elle avait l'impression de revivre. Après tout ce temps.
"-Nostra, ne t'enfuis pas trop loin !"
Clélia s'allongea par terre. Ses bras se frottaient à l'herbe verte, lui chatouillant délicatement la peau. Elle ferma les yeux et se laissa bercer par le vent léger. Elle sentait la fatigue retomber. Elle voulait bien dormir un peu. Rattraper ce sommeil torturé qui l'avait préoccupé depuis quelques jours. Oublier, une nouvelle fois.
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Le Cercle des Douze Disciples
Mister / ThrillerClélia est une adolescente de dix-huit ans à problèmes. Pour l'éloigner de la drogue et des autres tentations dans lesquelles elle tombe petit à petit, sa mère Nicole l'envoie passer l'été chez Sibylle, son extravagante tante qui pratique la voyance...