Chapitre.1 - 03

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Ouah...

Tout était arrivé tellement vite. Je voulais dire... Bon, je courrais. Pour récupérer ce satané stylo qui me tenait tant à cœur. Et au détour d'un couloir je l'avais percuté, il faut se le dire, plutôt violemment. Lui, notre tout nouveau prof de français. Je ne sais comment, j'avais plus ou moins reconnu sa présence. Pas son odeur, pas sa tête que je n'avais pas eu le temps de voir. Non, vraiment je l'avais reconnu sans savoir qui il était.

Résultat nous nous étions étalés par terre, moi sur le sol et lui sur moi. Enfin pas exactement, il s'était retenu avec ses bras, appuyé sur ses coudes de chaque côté de ma tête, m'évitant un écrasement fatal. Les quelques feuilles qu'il tenait s'étaient éparpillées autour de nous, certaine encore en train de voler. Je m'étais d'abord crispé en me préparant au choc. En voyant qu'il tenait bon j'ouvris les yeux, rencontrant les siens qui semblaient s'être assombris. Il s'appuya sur son genoux, sa jambe touchant à présent la mienne. Le maigre contact physique provoqua une chaleur qui sembla irradier dans mon corps et me fit rougir. Je commençai à me redresser mais lui n'avait toujours pas bougé, résultat, je me retrouvai à quelques centimètres de son visage. Son souffle venait s'écraser dans mon cou. Il sentait l'amande. Une drôle de sensation s'empara de moi. C'était un sentiment bizarre et agréable à la fois. Je ressenti la même chaleur que quand il s'était assis à côté de moi, l'heure d'avant. Alors que je tentai de reprendre ma respiration, toujours à bout de souffle après ma chute, je le vit me détailler lentement. Il sembla prendre une décision et se releva, me tendant la main pour m'aider.

Tout cela en quelques secondes seulement.

J'acceptais son aide, avec un sourire grimaçant, me frottant le dos.

_Désolé... Soufflai-je.

_Vous allez bien ? Je m'en voudrai de vous avoir fait mal... Il vaudrait mieux que vous évitiez de courir dans les couloirs à l'avenir mademoiselle Trivanny. Il pourrait vous arriver d'autres accidents. Murmura Monsieur Brentley, ses yeux bleus plongés dans les miens. J'étais hypnotisée.

_Oui. J'y penserai. Hum... Je vous cherchais justement. Le prof me lança un regard interrogateur, m'invitant à poursuivre. En fait j'ai oublié mon stylo dans votre salle.

_Ah, c'est à vous ? S'exclama-t'il alors. Tiens je l'ai mis là. Il sortit ce foutu stylo de la poche de sa chemise et me le tendit. Voilà...

_Merci encore, à la prochaine ?

_À la prochaine.

Je me tournai pour m'en aller, sentant son regard inquisiteur peser sur moi.

Mon dieu, mes joues étaient écarlates. Le temps que le sang me monte à la tête, mon professeur de français était déjà parti. Grand bien m'en fasse, il n'avait pas vu ma gène. Ouf.

Bon sinon c'était quoi ça ? J'avais les mains moites, les joues rouges. J'étais en train de marcher comme un robot, essayant de comprendre désespérément. Il ne me semblait pas courir tellement vite pourtant. Bref... Une fois sortie de mon lycée, je décidai de ne pas prendre le bus et de rentrer à pied. Ce soir déménagement.

Enfin pas à proprement parler. Je senti mes lèvres s'étirer en un sourire douloureux. C'était ma spécialité les sourires douloureux. Ils me venaient tout le temps, comme un réflexe. Ça, les « tout va bien », et les rires. J'avais plus de mal avec les pleurs. Tout ce qui me venait c'était la perte totale de la parole et la colère.

Ce soir j'allais chez mon père. Joie d'avoir des parents divorcés. Donc une sorte de déménagement non ? Chaque semaine une nouvelle vie ?

J'avais l'impression d'être un poisson rouge qui tournait dans son bocal. Je croyais devenir folle. Toujours les mêmes allers-retours. Le même décor.

J'en avait marre de penser, marre de souffrir. Ma tête était comme prise dans un étau. Comme... Une migraine. Voilà pourquoi je délirais.

Je ne délirais pas. Je m'arrêtai dans un parc. La douleur était trop forte. Je cherchai un coin à l'ombre et m'allongeai.

Qu'est-ce que je fout là ?

Au-dessus de moi les nuages dérivaient lentement. Je me sentais seule. Qu'est-ce que ça fait d'être libre ? J'aurai voulu pouvoir m'endormir pour toujours sans me réveiller. Rester dans la torpeur de mes rêves pour l'éternité.

Il me fallait des ambitions. Il fallait que j'ai envie de réaliser des choses.

Il me fallait des raisons de vivre.

Ce que je prenais pour une migraine avait disparu. Pourquoi ? Je ne savais pas. Peu importe.

J'étais déterminé. Une rage de vivre régnai en moi. Pff. Des sentiments, de la tristesse, des larmes ? Pourquoi faire ? Si être déterminé m'empêchai de souffrir alors soit.

Les feuilles des arbres commençaient à se teindre d'orange et de doré en ce début d'automne tardif. Je les voyais tourbillonner autour de moi, décrochées de leurs branches par les rafales de vent.

Je rêvais d'indépendance. Que cessent ces allers-retours pour que je puisse avancer sans avoir besoin de revenir en arrière.

Je rêvai de vivre et d'être libre. 

En rentrant chez moi, surprise mon père n'était pas là. J'avais la maison pour moi toute seule. Je m'efforçais pour commencer de remplir tous les papiers donnés par Monsieur Lafranche. J'imitais plutôt bien la signature de mon père en plus. Une fois fait, je pris une pochette et rangeais tout dedans, proprement. Ensuite, je montai dans ma chambre.

C'était une grande pièce quand même, avec une salle de bain attenante. J'avais tout pour pouvoir rester dans ma chambre sans rencontrer personne. Un bureau, un canapé, un lit en hauteur, une armoire avec des figurines et des jouets. Une grande fenêtre donnait sur le jardin, un étage en dessous. Sur le sol il y avait un épais tapis. Il était même possible de dormir dessus sans problème. Je comptais m'acheter un téléviseur et pourquoi pas même un frigo ? Un petit bien sûr. Puis un micro-onde aussi. Je voulais être indépendante.

Sur les murs il y avait quelques photos. J'enlevai tout. Je jetai les posters, les dessins. Les photos de classe. Il ne restai plus qu'un mur blanc.

J'avais la vie devant moi. Des bonnes notes en cours. Une famille pour m'aider financièrement et j'étais capable de travailler.

Ne restait qu'une question : que voulais-je faire ?

Aller chez Faï. Boire un coup. Me détendre et marquer le coup entre aujourd'hui et demain.

Demain est un autre jour.

Pour toujours? Où les histoires vivent. Découvrez maintenant