_Bonjour, je me présente, Callum Brentley. Je serai votre prof de français cette année. Il marqua une pause. Pour ce qui est des cours, vous présenterez ça comme vous voulez, vous êtes autonomes. D'ailleurs je ne note pas les cahiers, cela n'est pas important pour moi. Autre pause. Il nous regarda tous les uns après les autre dans les yeux avant d'ajouter :
_Hum... Quelqu'un a-t'il des questions ?
Toute la classe était assise en face de notre nouveau professeur de français. La salle était simple, aucune décoration, pas d'affiches sur les murs. Juste un tableau, un bureau et les tables des élèves. J'étais assise à une table seule au fond. La chaise d'à côté était libre. J'avais posé mon sac dessus. Connor et Faï s'était mis à côté l'un de l'autre, sur la colonne de droite. Un garçon du premier rang leva la main. Monsieur Brentley lui fit signe de parler tout en sortant un ordinateur portable de sa sacoche.
_Qu'est-ce qu'on va faire aujourd'hui ? Demanda celui qui, il me semble, s'appelait Ryan.
_Et bien j'ai prévu un sujet de rédaction, attendez.
Quelques élèves grognèrent. Faï me lança un regard complice. J'étais dans mon domaine. Les rédactions. Restait à voir le sujet. En général, les profs de français ne nous donnaient que des thèmes barbants, comme écrire une lettre à un auteur disparu, ou imaginer une autre fin à un vieux roman que personne n'avait lu. Des choses qui n'intéressaient personne, qu'on se le dise.
Après avoir mis son ordinateur en marche, le prof se mit à fouiller dans sa sacoche. Il en sortit une feuille roulée en boule. Il la lança avec un sourire à l'élève qui faisait face à son bureau.
_Tiens lis le sujet à toute la classe. Fit-il tout en retournant sur son ordinateur.
_Je... Oui.
Anna - c'était le prénom de l'élève - déplia la feuille, lu une première fois dans sa tête le sujet et se racla la gorge avant de déclarer :
_"Imaginez une journée de votre vie dans vingt ans."
C'était inattendu. Mais ça me paraissait intéressant. Il faut dire que je n'y avais jamais réfléchi. Enfin si, mais sans jamais devoir le coucher à l'écrit. Dans vingt ans j'aurai trente-six ans.
Le sujet était inspirant.
_Vous avez jusqu'à la fin de l'heure et pour ceux qui n'auront pas finit, vous pourrez me rendre vos copies la prochaine fois.
Dès qu'il eut finit de parler je me mit au travail. Les mots s'enchaînèrent. Puis les lignes. Les paragraphes même. Je me sentais dans mon élément. D'un manière assez folle, je savais où j'allais, ce que je voulais dire et taire. Tout allait bien.
Monsieur Brentley faisait des allers-retours et observait notre travail en passant. Il s'arrêta près de moi et lu par-dessus mon épaule. Je levai la tête vers lui, perturbée. Cela faisait une minute qu'il lisait et depuis je n'avais pas écris un mot. M'ignorant il pris l'une des quatre feuilles qui était sur mon bureau, pris mon sac qui était sur la chaise vide et le poussa avant de s'installer. Il était assis juste à côté de moi, l'air de rien, à lire toute ma journée. Je fronçais mes sourcils avant de me remettre au travail. Moi qui était auparavant dans une sorte de bulle isolée du monde je ne pouvais m'empêcher de remarquer l'odeur de café qui émanait de mon professeur. J'entendais sa respiration profonde, apaisée. Je remarquai le moindre tic qu'il avait. Caresser sa barbe de trois jours. Tapoter du pied. Faire des ronds sur la table avec son index. Se mordre la lèvre.
Je fermai les yeux pour mieux me concentrer. Au bout de trente secondes j'entendit sa respiration se bloquer. Lentement, il expira avant de reposer la feuille qu'il tenait.
_C'est... Il chercha ses mots. C'est bien. Murmura-t'il avec une voix roque de ne pas avoir parlé.
Il prit appui sur ma chaise pour se lever. Je pouvais sentir la chaleur qui émanait de son corps de là où j'étais. Un dernier bref sourire apparut sur son visage avant qu'il ne retourne à son bureau. Là-bas, il coordonna son ordinateur avec le projecteur, toucha à quelques réglages avant de lancer sa session Pronote pour faire l'appel. Son nom s'afficha en tant qu'identifiant. Ses noms.
M.Brentley Callum John Tanguy.
Je lisais plusieurs fois son nom. Callum Brentley. Callum Brentley. Brentley Callum. John Tanguy. Callum John Tanguy Brentley.
D'accord.
Rapidement, j'achevais ma rédaction, mettant un point d'honneur à indiquer l'heure à laquelle je m'endormais, en opposition au début de mon histoire où j'indiquais l'heure de mon réveil.
Juste quand j'avais finit, le prof commença l'appel qu'il avait négligé en début d'heure. Et puis...
_Trivanny Arya ?
Nos regards se croisèrent et je lançai un "oui" clair. Il nota ma présence sur l'appel, regarda sa liste et enchaîna avec la personne qui me suivait. La fin du cours sonna et Brentley nous demanda de lui rendre nos copies, sauf si nous n'avions pas fini. Les élèves défilèrent devant son bureau pour donner leurs rédactions. J'écrivai mon nom et mon prénom dans la marge avant de me lever à mon tour.
_Hum... Marie ? Fit le professeur de français à l'intention d'une de mes camarades.
_Non, moi c'est Manon. Répondit la jeune fille.
_Zut, et toi, c'est Andrew ? Lança-t'il, à l'intention d'un garçon que je connaissais depuis la primaire.
_Yep.
J'arrivai au bureau du prof, copie en main. J'étais la dernière de la classe, seuls Faï et Connor m'attendaient en discutant dans le couloir. Pour une première fois, Monsieur Brentley avait déjà retenu pas mal de nom. Voyons voir s'il se souvenait du mien.
_Voilà. Murmurai-je en tendant toutes mes feuilles.
_Arya.
Il l'avait affirmé. Ce n'était pas une question comme pour les autres, on voyait dans son regard qu'il était sûr. Je hochai la tête pour l'approuver avant de rétorquer sur le même ton que lui :
_Callum John Tanguy Brentley.
Une lueur s'alluma dans son regard et il sembla réprimer un rire en se mordant la lèvre. Tiens il avait une fossette à droite. Quand il attrapa ma copies nos mains se touchèrent. Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale et nos regards se trouvèrent. Il eut un sourire séducteur. Oui, séducteur, je ne saurai le définir autrement. Dehors Connor et Faï m'attendaient toujours, n'ayant rien vu de la scène qui venait de se dérouler, trop occupés à rigoler. Pour ma part je ne cherchai même pas à comprendre et leurs fit signe que j'étais prête à y aller.
Une fois sortis du lycée, je m'apercevais que j'avais oublié mon stylo. C'était l'un des très peu nombreux cadeaux que j'avais reçu de mon père.
_Mince...
_Qu'est-ce qu'il y a ? Demanda Faï.
_J'ai oublié mon stylo en cours, je vais le chercher... Partez sans moi, je prendrai le prochain bus. À demain !
J'entendis un "À demain" derrière moi alors que je faisait demi-tour en courant.