Année 175 de la nouvelle ère
Il courrait à travers la campagne. Les coudes relevés suivant la cadence. Inspiration et expiration une foulée sur deux. Le regard fixé au loin, visant un point imaginaire quelques dizaines de mètres devant lui.
Assez près pour esquiver des souches traîtresses ou des cailloux sournois et assez loin pour déceler tout danger éventuel.
Assez près pour éviter les restes d'une cage thoracique. D'un tee-shirt bleu trop troué pour être récupéré, pointaient des côtes aux bords acérés qui auraient pu lui labourer les mollets.
Assez loin pour contourner les ruines d'un village aux toitures incendiées. Des carcasses de voitures empilées les unes sur les autres témoignaient d'une résistance passée. Assez loin pour ne pas voir les squelettes rongés, les armes rouillées et cette charogne de désespoir qui hantait à présent les moindres recoins du monde.
En plusieurs semaines il avait parcouru assez de kilomètres pour comprendre que le pire du danger ne venait pas des rares spécimens errants, prisonniers de la Mort Double, mais de l'humanité elle-même. Des bandes de pillards traversaient le pays à la recherche des camps les moins fortifiés, volant, tuant, violant, en une noire frénésie, les survivants résignés rejoignant leurs rangs.
Les citadins, bien à l'abri derrière leurs palissades, refusaient toute présence étrangère de peur d'héberger un espion en leur sein, la stratégie du cheval de Troie était devenue l'arme favorite des pillards.
Les voyageurs esseulés ne se croisaient que de loin, hors de portée de tirs d'arbalète ou de jets de pierre. On se saluait à peine. La solitude était leur meilleure protectrice.
Il courrait à travers la campagne. Les coudes relevés suivant la cadence.
Il s'arrêta.
La forêt s'étalait d'un bout à l'autre de l'horizon. Il s'obligea à respirer calmement par le nez. C'était ainsi depuis une dizaine jours. Il s'arrêtait de courir, mais son corps continuait longtemps après lui. Il avança de deux pas, ses pieds hésitants, pressés de reprendre leur course.
Vent d'Esprit se força à marcher jusqu'à l'orée de la forêt.
Lorsque les arbres l'engloutir dans leurs ombres noires et avides, Vent d'Esprit marcha.
Quand un cœur de grognements l'accueilli au plus profond de la forêt et que tous les chants d'oiseaux s'envolèrent, Vent d'Esprit marcha.
Mais lorsqu'il arriva au pied d'une palissade de bois plus haute que lui, ornée d'une haute pique tous les deux ou trois mètres sur laquelle était fichée une tête, Vent d'Esprit ne put empêcher ses pieds de reprendre leur course familière.
Et lorsque toutes les têtes se tournèrent vers lui en gémissant, horribles reliques de la Mort Double, lorsque toutes les langues se tendirent en essayant de lécher ce sang que protégeait une ridicule armure de chair, lorsqu'une tête mal fixée tomba au beau milieu de sa course, les yeux rivés sur ce jeune homme aux cheveux châtains et à la beauté d'un ange, qui sauta en un effort désespéré d'éviter le Baiser de la Mort Double, Vent d'Esprit sprinta plus vite qu'il ne l'avait jamais fait de sa courte vie.
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La Mort Double
FantasyLa Mort Double a frappé. Les morts se relèvent et se nourrissent des vivants. Des décennies après l'apocalypse, des légendes fleurissent. On parle d'un homme mi humain, mi zombie, capable des prouesses les plus folles. Certains disent qu'il peut tue...