La Cabane

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  Il jeta une nouvelle bûche dans l'âtre, soulevant une gerbe d'étincelles. Leurs reflets se perdant dans ses prunelles noires comme la nuit. Témoins de sa non humanité, ces yeux étaient complètement noirs. Plus jeune, il les cachait derrière des lunettes de soleil, de peur d'effrayer les autres. De peur que les hommes lisent la mort double au fond de son regard. De peur qu'ils ne le chassent à coups d'injures et de jets de pierres. Les pierres le blessaient dans sa chair, mais les insultes et le rejet enfonçait un peu plus son âme dans la noirceur. Chaque insulte l'éloignait un peu plus de son humanité et lorsque une dernière parcelle se détacha de son âme, il devint la bête que ses tortionnaires redoutaient.

  Il en avait tué quelques uns, se délectant de leur peur. Lâchant la bride à la Mort Double, il les avait éventrés, égorgés, démembrés, répandant leur sang sur l'autel de sa haine, suçotant leur peur dans la moelle de leurs os, buvant leurs gémissements en une dernière étreinte.

   Il attendait, caché au plus profond de la plus sombre des forêts, que la mort le retrouve enfin.

   Le terre tournait, l'humanité sombrait victime de la Mort Double et il attendait.

   Le temps passait, l'humanité se reconstruisait et il attendait.

   Les années s'écoulaient, des hordes de pillards déferlaient, saccageant tout espoir d'une nouvelle civilisation et il attendait.

   Au terme de son errance il avait érigé de ses mains une petite cabane, rudimentaire mais confortable. Pas de chambre, il ne dormait pas. Pas de salle à manger, sa table était le corps de ses victimes. Juste une immense cheminée et un bon fauteuil. Il ne lui en fallait pas plus.

   Au fil de ses explorations, il avait ajouté une niche pour un fichu clébard avec qui ils s'étaient disputés le produit d'une chasse, puis un appentis qui servait d'écurie pour le seul cheval que sa présence ne rendait pas nerveux.

   Lorsqu'il avait senti qu'un humain était passé un peu trop près de son domaine, il avait ajouté une large palissade. Il l'avait garnie de têtes de non morts. Il les chassait, s'amusait un peu avec eux, sa seule distraction, puis les exhibaient sur son hideuse fortification. Grotesques chiens de garde, il les prévenaient de toute présence vivante et éloignaient les éventuels curieux.

   Il entendit des gémissements au loin. Sa palissade le prévenait. Quelqu'un approchait. Il se leva et attrapa la machette qui était accrochée au dessus de la cheminée et la glissa dans le fourreau de son dos. Il s'équipa de ses couteaux de lancer, fourra une dague dans sa botte, arma une arbalète, glissa un fléau d'arme dans sa ceinture, récupéra son sabre, resserra les protections de cuir de ses avants bras et se réinstalla dans son fauteuil.

   Il jeta une nouvelle bûche dans l'âtre, soulevant une gerbe d'étincelles. Leurs reflets se perdant dans ses prunelles noires comme la nuit.

   Il attendait.


La Mort DoubleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant